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Les croisades vues par les arabes

Les croisades vues par les arabes

Titel: Les croisades vues par les arabes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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continue à s'exercer sur une terre qui dépend de lui. Il envoie donc plusieurs messages en ce sens à Saladin, mais celui-ci se montre réticent. Il craint de heurter les sentiments de la population, en bonne partie chiite, et de s'aliéner les dignitaires fatimides. Par ailleurs, il n'ignore pas que c'est en tant que vizir du calife al-Adid qu'il tient son autorité légitime et il craint de perdre, en le détrônant, ce qui garantit officiellement son pouvoir en Egypte, auquel cas il redeviendrait un simple représentant de Noureddin. Il voit d'ailleurs dans l'insistance du fils de Zinki bien davantage une tentative de remise au pas politique qu'un acte de zèle religieux. Au mois d'août, les exigences du maître de la Syrie quant à l'abolition du califat chiite sont devenues un ordre comminatoire. 
    Acculé, Saladin commence à prendre des dispositions pour faire face aux réactions hostiles de la population et va jusqu'à préparer une proclamation publique annonçant la déchéance du calife. Mais il hésite encore à la diffuser. Al-Adid, bien qu'âgé de vingt ans, est très gravement malade, et Saladin, qui s'est lié d'amitié avec lui, ne se fait pas à l'idée de trahir sa confiance. Subitement, le vendredi 10 septembre 1171, un habitant de Mossoul, en visite au Caire, entre dans une mosquée, et, montant en chaire avant le prédicateur, fait la prière au nom du calife abbasside. Curieusement, personne ne réagit, ni sur le moment ni les jours suivants. Est-ce un agent envoyé par Noureddin pour embarrasser Saladin? C'est possible. Mais, en tout cas, après cet incident, le vizir, quels que soient ses scrupules, ne peut plus différer sa décision. Dès le vendredi suivant, ordre est donné de ne plus mentionner les Fatimides dans les prières. Al-Adid est alors sur son lit de mort, à moitié inconscient, et Youssef interdit à quiconque de lui annoncer la nouvelle. « S'il se rétablit, leur dit-il, il aura toujours le temps de la connaître. Sinon, laissez-le mourir sans tourments. » De fait, al-Adid s'éteindra peu de temps après, sans avoir appris la triste fin de sa dynastie. 
    La chute du califat chiite, après deux siècles d'un règne parfois glorieux, va, comme on pouvait s'y attendre, éprouver sur-le-champ la secte des Assassins qui, comme au temps de Massan as-Sabbah, attendait encore que les Fatimides sortent de leur léthargie pour inaugurer un nouvel âge d'or du chiisme. Voyant que ce rêve s'évanouissait à jamais, ses adeptes sont si désarçonnés que leur chef en Syrie, Rachideddin Sinan, « le vieux de la montagne », envoie un message à Amaury pour lui annoncer qu'il est prêt, avec tous ses partisans, à se convertir au christianisme. Les Assassins possèdent alors plusieurs forteresses et villages en Syrie centrale, où ils mènent une vie relativement paisible. Depuis des années, ils semblent avoir renoncé aux opérations spectaculaires. Rachideddin, bien entendu, dispose encore d'équipes de tueurs parfaitement entraînés, ainsi que de prédicateurs dévoués, mais beaucoup d'adeptes de la secte sont devenus de braves paysans, souvent contraints de verser un tribut régulier à l'ordre des Templiers. 
    En promettant de se convertir, le « vieux » espère, entre autres choses, exempter ses fidèles du tribut que seuls les non-chrétiens sont tenus de payer. Les Templiers, qui ne prennent pas leurs intérêts financiers à la légère, suivent avec inquiétude ces contacts entre Amaury et les Assassins. Dès que l'accord est en vue, ils décident de le faire échouer. Un jour de 1173, alors que des envoyés de Rachideddin reviennent d'une entrevue avec le roi, les Templiers leur tendent une embuscade et les massacrent. Plus jamais on ne reparlera de la conversion des Assassins.
    Indépendamment de cet épisode, l'abolition du califat fatimide a une conséquence aussi importante qu'imprévue : donner à Saladin une dimension politique qu'il n'avait pas jusque-là. Noureddin, évidemment, ne s'attendait pas à un tel résultat. La disparition du calife, au lieu de réduire Youssef au rang d'un simple représentant du maître de la Syrie, fait de lui le souverain effectif de l'Egypte et le gardien légitime des fabuleux trésors accumulés par la dynastie déchue. Dès lors, les relations entre les deux hommes ne cesseront de s'envenimer. 
    Au lendemain de ces événements, tandis que Saladin dirige, à l'est de Jérusalem, une expédition audacieuse contre la

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