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Les croisades vues par les arabes

Les croisades vues par les arabes

Titel: Les croisades vues par les arabes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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Mais l'homme insista. Il colla presque la feuille au visage de Salaheddin en lui disant : « Que le maître signe! » Le sultan répondit : « Mais je n'ai pas d'encrier sous la main! » Il était assis à l'entrée de sa tente, et le mamelouk remarqua qu'il y avait à l'intérieur un encrier. « Le voilà, l'encrier, au fond de la tente », lança-t-il, ce qui signifiait qu'il ordonnait à Salaheddin d'aller prendre lui-même l'encrier, rien de moins. Le sultan se retourna, vit l'encrier et dit : « Par Dieu, c'est vrai! » Il s'étendit alors vers l'arrière, s'appuya sur son bras gauche et prit l'encrier de la main droite. Puis il signa le papier.
    Cet incident, relaté par Bahaeddin, secrétaire particulier et biographe de Saladin, illustre de manière frappante ce qui différenciait celui-ci des monarques de son époque, comme de toutes les époques : savoir rester humble avec les humbles même quand on est devenu le plus puissant parmi les puissants. Ses chroniqueurs évoquent certes son courage, sa justice et son zèle pour le jihad mais, à travers leurs récits, transparaît sans cesse une image plus émouvante, plus humaine.
Un jour, raconte Bahaeddin, alors que nous étions en pleine campagne contre les Franj, Salaheddin appela ses proches autour de lui. Il tenait à la main une lettre qu'il venait de lire, et, quand il voulut parler, il éclata en sanglots. En le voyant dans cet état, nous ne pûmes nous empêcher de pleurer, nous aussi, alors que nous ignorions de quoi il s'agissait. Il dit enfin, la voix étouffée par les larmes : « Takieddin, mon neveu, est mort! » Et il recommença à pleurer à chaudes larmes, et nous de même. Je repris mes esprits et lui dis : « N'oublions pas dans quelle campagne nous sommes engagés, et demandons pardon à Dieu de nous être laissés aller à ces pleurs. » Salaheddin m'approuva. « Oui, dit-il, que Dieu me pardonne! Que Dieu me pardonne! » Il répéta cela plusieurs fois, puis il ajouta : « Que personne ne sache ce qui est arrivé! » Puis il fit amener de l'eau de rose pour se laver les yeux.
    Les larmes de Saladin ne coulent pas seulement à la mort de ses proches.
Une fois, se rappelle Bahaeddin, alors que je chevauchais aux côtés du sultan face aux Franj, un éclaireur de l'armée vint à nous avec une femme qui sanglotait en se frappant la poitrine. « Elle est sortie de chez les Franj, nous expliqua l'éclaireur, pour rencontrer le maître, et nous l'avons amenée. » Salaheddin demanda à son interprète de l'interroger. Elle dit : « Des voleurs musulmans sont entrés hier dans ma tente et ils ont volé ma petite fille. J'ai passé toute la nuit à pleurer, alors nos chefs m'ont dit « Le roi des musulmans est miséricordieux, nous te laisserons aller vers lui et tu pourras lui demander ta fille. Alors je suis venue et j'ai mis tous mes espoirs en toi. » Salaheddin fut ému et des larmes lui vinrent aux yeux. Il envoya quelqu'un au marché des-esclaves pour chercher la fille, et moins d'une heure après un cavalier arriva portant l'enfant sur ses épaules. Dès qu'elle les vit, la mère se jeta à terre, se barbouilla le visage de sable, et tous les présents pleuraient d'émotion. Elle regarda vers le ciel et se mit à dire des choses incompréhensibles. On lui rendit donc sa fille et on la raccompagna au camp des Franj.
    Ceux qui ont connu Saladin s'attardent peu sur sa description physique - petit, frêle, la barbe courte et régulière. Ils préfèrent parler de son visage, de ce visage pensif et quelque peu mélancolique, qui s'illuminait soudain d'un sourire réconfortant mettant l'interlocuteur en confiance. Il était toujours affable avec ses visiteurs, insistant pour les retenir a manger, les traitant avec tous les honneurs, même s'ils étaient des infidèles, et satisfaisant à toutes leurs demandes. Il ne pouvait accepter que quelqu'un vienne à lui et reparte déçu, et certains n'hésitaient pas à en profiter. Un jour, au cours d'une trêve avec les Franj, le « brins », seigneur d'Antioche, arriva à l'improviste devant la tente de Salaheddin et lui demanda de lui rendre une région que le sultan avait prise quatre ans plus tôt. Il la lui donna! 
    On le voit, la générosité de Saladin a frôlé parfois l'inconscience.
Ses trésoriers, révèle Bahaeddin, gardaient toujours en cachette une certaine somme d'argent pour parer à tout imprévu, car ils savaient bien que, si le maître apprenait l'existence de cette réserve, il

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