Les croisades vues par les arabes
forteresse franque de Chawbak, la garnison semble sur le point de capituler, lorsque Saladin apprend que Noureddin vient le rejoindre à la tête de ses troupes pour participer aux opérations. Sans attendre un instant, Youssef ordonne à ses hommes de lever le camp et de rentrer à marches forcées vers Le Caire. Il prétexte, par une lettre au fils de Zinki, que des troubles auraient éclaté en Egypte le contraignant à ce départ précipité.
Mais Noureddin ne se laisse pas abuser. Accusant Saladin de félonie et de trahison, il jure de se rendre en personne au pays du Nil afin de reprendre les choses en main. Inquiet, le jeune vizir réunit ses proches collaborateurs, parmi lesquels son propre père Ayyoub, et les consulte sur l'attitude à adopter au cas où Noureddin mettrait sa menace à exécution. Alors que certains émirs se déclarent prêts à prendre les armes contre le fils de Zinki et que Saladin lui-même semble partager leur avis, Ayyoub intervient, tremblant de colère. Interpellant Youssef comme s’il n'était qu'un galopin, il déclare : « Je suis ton père et, s'il y a une personne ici qui t'aime et désire ton bien, ce ne peut être que moi. Pourtant, sache que si Noureddin venait, rien ne pourrait m'empêcher de me prosterner et de baiser le sol à ses pieds. S'il m'ordonnait de te couper la tête avec mon sabre, je le ferais. Car cette terre est à lui. Tu vas lui écrire ceci : J'ai appris que tu voulais diriger une expédition vers l'Egypte, mais tu n'en as pas besoin; ce pays est à toi, et il te suffit de m'envoyer un coursier ou un chameau pour que je vienne à toi en homme humble et soumis. »
A l'issue de cette réunion, Ayyoub sermonne à nouveau son fils en privé : « Par Dieu, si Noureddin tentait de te prendre un pouce de ton territoire, je me battrais contre lui jusqu'à la mort. Mais pourquoi te montres-tu ouvertement ambitieux? Le temps est de ton côté, laisse faire la Providence! » Convaincu, Youssef envoie en Syrie le message proposé par son père et Noureddin, rassuré, renonce in extremis à son expédition punitive. Mais, instruit par cette alerte, Saladin dépêche l'un de ses frères, Touranshah, au Yémen, avec pour mission de conquérir cette terre montagneuse du sud-ouest de l'Arabie afin d'y ménager à la famille d'Ayyoub un lieu de refuge au cas où le fils de Zinki songerait à nouveau à prendre le contrôle de l'Egypte. Le Yémen sera effectivement occupé sans grande difficulté... « au nom du roi Noureddin ».
En juillet 1173, moins de deux ans après le rendez-vous manqué de Chawbak, un incident analogue se produit. Saladin étant parti guerroyer à l'est du Jourdain, Noureddin rassemble ses troupes et vient à sa rencontre. Mais, une fois de plus, terrorisé à. l'idée de se trouver face à son maître, le vizir se dépêche de reprendre la route de l'Egypte en affirmant que son père est mourant. De fait, Ayyoub vient de sombrer dans le coma à la suite d'une chute de cheval. Mais Noureddin n'est pas prêt à se contenter de cette nouvelle excuse. Et, lorsque Ayyoub meurt en août, il prend conscience de ce qu'il n'y a plus au Caire un seul homme en qui avoir pleinement confiance. Aussi considère-t-il le moment venu de prendre personnellement en main les affaires égyptiennes.
Noureddin commença ses préparatifs pour envahir l'Egypte et l'arracher à Salaheddin Youssef, car il avait constaté que celui-ci évitait de se battre contre les Franj par crainte de se réunir avec lui. Notre chroniqueur Ibn al-Athir, qui a quatorze ans lors de ces événements, prend nettement position en faveur du fils de Zinki. Youssef préférait avoir les Franj à ses frontières plutôt que d'être le voisin direct de Noureddin. Celui-ci écrivit donc à Mossoul et ailleurs pour demander qu'on lui envoie des troupes. Mais, pendant qu'il s'a prêtait à marcher avec ses soldats vers l'Egypte, Dieu lui intima l'ordre qu'on ne discute pas. Le maître de la Syrie vient en effet de tomber gravement malade, atteint, semble-t-il, d'une très forte angine, Ses médecins lui prescrivent une saignée, mais il refuse : « On ne saigne pas un homme de soixante ans », dit-il. On essaie d'autres traitements, mais rien n'y fait. Le 15 mai 1174, est annoncée à Damas la mort de Noureddin Mahmoud, le roi saint, le moujahid qui a unifié la Syrie musulmane et permis au monde arabe de se préparer à la lutte décisive contre l'occupant. Dans toutes les mosquées, on
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