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Les croisades vues par les arabes

Les croisades vues par les arabes

Titel: Les croisades vues par les arabes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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s'est rassemblé le soir pour réciter quelques versets du Coran à sa mémoire. En dépit de son conflit, les dernières années, avec Saladin, celui-ci, avec le temps, apparaîtra bien davantage comme son continuateur que comme son rival. 
    Dans l'immédiat, toutefois, c'est la rancœur qui domine parmi les parents et les collaborateurs du disparu, qui craignent de voir Youssef profiter de la confusion générale pour attaquer la Syrie. Aussi, pour gagner du temps, évite-t-on de notifier au Caire la nouvelle. Mais Saladin, qui a des amis partout, envoie à Damas, par pigeon voyageur, un message subtilement libellé : Une nouvelle nous est parvenue de chez l'ennemi maudit au sujet du maître Noureddin. Si, à Dieu ne plaise, la chose s'avérait exacte, il faudrait surtout éviter que la division ne s'installe dans les cœurs et que la déraison ne s'empare des esprits, car seul l'ennemi en tirerait profit.  
    En dépit de ces paroles conciliantes, l'hostilité soulevée par l'ascension de Saladin sera farouche.

CHAPITRE X 
LES LARMES DE SALADIN
Tu vas trop loin, Youssef, tu dépasses les bornes. Tu n'es qu'un serviteur de Noureddin et tu voudrais maintenant t'emparer du pouvoir pour toi tout seul? Ne te fais surtout aucune illusion, car nous qui t'avons sorti du néant, nous saurons t'y ramener!
    Quelques années plus tard, cet avertissement envoyé à Saladin par les dignitaires d’Alep paraîtra absurde. Mais en 1174, alors que le maître du Caire commence à émerger comme la principale figure de l'Orient arabe, ses mérites ne sont pas encore évidents pour tous. Dans l'entourage de Noureddin, aussi bien du vivant de celui-ci qu'au lendemain de sa mort, on ne prononce même plus le nom de Youssef. Pour le désigner, on emploie les mots de « parvenu », d’ « ingrat », de « félon » ou, le plus souvent, d’ « insolent ». 
    Insolent, Saladin s'est généralement gardé de l'être; mais insolente, sa chance l'est à coup sûr. Et c'est bien ce qui irrite ses adversaires. Car cet officier kurde de trente-six ans n'a jamais été un homme ambitieux, et ceux qui ont observé ses débuts savent qu'il se serait aisément contenté de n'être qu'un émir parmi tant d'autres si le sort ne l'avait projeté, à son corps défendant, au-devant de la scène. 
    C'est malgré lui qu'il est parti en Egypte, où son rôle a été minime dans la conquête; et pourtant, en raison même de son effacement, il s'est hissé au sommet du pouvoir. Il n'avait pas osé proclamer la déchéance des Fatimides, mais, lorsqu'il a été forcé de prendre une décision dans ce sens, il s'est retrouvé l'héritier de la plus riche des dynasties musulmanes. Et quand Noureddin a résolu de le remettre à sa place, Youssef n'a même pas eu besoin de résister : son maître s'est subitement éteint, laissant pour tout successeur un adolescent de onze ans, as-Saleh. 
    Moins de deux mois plus tard, le 11 juillet 1174, Amaury disparaît à son tour, victime d'une dysenterie, alors qu'il préparait une nouvelle invasion de l'Egypte avec l'appui d'une puissante flotte sicilienne. Il lègue le royaume de Jérusalem à son fils Baudouin IV, un jeune homme de treize ans affligé de la plus terrible des malédictions : la lèpre. Il ne reste plus dans tout l'Orient qu'un seul monarque qui puisse faire obstacle à l'irrésistible ascension de Saladin et c'est Manuel, l'empereur des Roum, qui rêve, en effet, d'être un jour le suzerain de la Syrie et veut envahir l’Egypte en collaboration avec les Franj. Mais justement, comme pour compléter la série, la puissante armée byzantine, qui avait paralysé Noureddin pendant près de quinze ans. se fera écraser en septembre 1176 par Kilij Arslan II, petit-fils du premier, à la bataille de Myriocephalum. Manuel mourra peu de temps après, condamnant l'empire chrétien d’Orient à sombrer dans l'anarchie. Peut-on en vouloir aux panégyristes de Saladin d'avoir vu dans cette succession d'événements imprévus la main de la Providence? Youssef lui-même n'a jamais cherché à s'attribuer le mérite de sa fortune. Il a toujours pris soin de remercier, après Dieu, « mon oncle Chirkouh » et « mon maître Noureddin ». Il est vrai que la grandeur de Saladin réside aussi dans sa modestie.
Un jour que Salaheddin était fatigué et qu'il cherchait à se reposer, un de ses mamelouks vint à lui et lui présenta un papier à signer. « Je suis épuisé, dit le sultan, reviens dans une heure! »

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