Les Dames du Graal
appartient au monde féerique et qu’elle gère en quelque sorte le Château de l’Échiquier au nom de l’Impératrice dont elle est sinon une disciple, du moins une vassale. On comprend aussi que toute cette histoire est un « coup monté » pour conduire, sans qu’il le sache, Peredur à son but, le Château des Merveilles. Loin d’être une ennemie acharnée à sa perte, la Demoiselle à l’Échiquier poursuit auprès de Peredur l’initiation que l’Impératrice a entreprise. Mais si elle le guide, au milieu de ses mésaventures, vers le but qu’il s’est assigné, c’est bien parce qu’il a fait ses preuves : il a obéi et il s’est montré à la hauteur des circonstances. Il mérite donc d’atteindre enfin le fabuleux Château des Merveilles. Et tout est bien qui finit bien, du moins dans le récit gallois.
Le récit de la Seconde Continuation ne s’arrête pas là, bien au contraire, et multiplie les épisodes intermédiaires avant de lancer Perceval sur le chemin qui mène au Château du Graal. Les épreuves que le héros doit subir sont plus nombreuses, plus éprouvantes, et aussi plus déroutantes , preuve que c’est au héros de se diriger à travers un véritable labyrinthe, lequel est admirablement symbolisé par l’échiquier. Perceval a jeté l’échiquier dans le lac, il a dispersé les pièces, il a brouillé le jeu : à lui maintenant de remettre tout en place. C’est à ces conditions qu’il obtiendra non seulement la femme qu’il convoite, en l’occurrence la Demoiselle à l’Échiquier, et qu’il parviendra au voisinage du Château du Graal {69} .
Au cours des péripéties relatées dans la Seconde Continuation , on en apprend d’ailleurs un peu plus sur la personnalité de la Demoiselle à l’Échiquier. Perceval vient de combattre l’homme noir comme le lui a demandé la mystérieuse Cavalière, mais, comme on l’a vu, l’homme noir lui dérobe son cheval et s’enfuit. Alors, la Cavalière rend à Perceval la tête de cerf et le brachet qu’elle lui a ravis auparavant. « C’est bien, dit-elle, tu as fait ce que je t’avais ordonné. Je n’ai qu’une parole. » Mais elle ne peut s’empêcher d’ironiser sur le fait que Perceval n’a plus de cheval avant de disparaître à bride abattue. Celui-ci se lamente sur son sort, quand l’homme noir réapparaît. Perceval veut le combattre, mais l’autre demande grâce. Perceval la lui accorde à condition qu’il explique son étrange attitude. « C’est la jeune fille aux cheveux noirs, dit-il, la même qui t’a confié le brachet, qui me dépêcha ici. Pour mériter son amour, je chassai le Blanc Cerf et le pris, grâce au brachet qu’elle m’avait confié à moi aussi. » L’homme noir lui révèle qu’il lui est arrivé la même mésaventure : la Cavalière lui a dérobé la tête et le chien et s’est enfuie. « J’allai conter mon aventure à celle qui m’avait promis son amour. Elle m’assura que je l’obtiendrais si j’accomplissais son service trois années durant. Elle m’envoya donc en ce lieu, me disant d’y remplacer l’homme que j’avais défait et de livrer bataille à qui viendrait me provoquer. Mais si j’avais le malheur de mordre la poussière, alors elle ne m’aimerait jamais… Elle est aussi fausse que malveillante, mais je ne saurais vivre sans l’espoir de la conquérir » (trad. J. Markale).
Le moins qu’on puisse dire, c’est que la Demoiselle à l’Échiquier n’est pas la timide jeune fille que l’on requiert d’amour pour la première fois, comme elle l’a prétendu à Perceval. Celui-ci commence à comprendre qu’il a été dupé, et de belle façon. De plus, il se fait voler une nouvelle fois la tête et le brachet. C’est alors que, continuant désespérément son errance, il rencontre une fois de plus la Cavalière et, rempli de colère, il s’écrie : « Femme ! sache que je ne retournerai jamais au Château de l’Échiquier. Tu peux dire à celle qui m’a confié le brachet qu’elle a eu tort de s’imaginer pouvoir me duper et me tourner en dérision. Je m’en vais et ne reviendrai jamais en ces lieux. » La Cavalière lui répond alors tranquillement. « C’est grand dommage. Ton amie s’attristera fort en apprenant que tu renonces à elle. Si tu lui avais rapporté le brachet et la tête du Blanc Cerf, nul doute qu’elle ne t’eût accueilli en son lit cette nuit de sorte que tu en fusses satisfait et honoré. » Mais
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