Les Dames du Graal
Perceval s’obstine dans sa révolte : « Je ne me laisserai plus prendre aux pièges que me tendent les créatures de ton espèce. » Et, sans attendre de réponse, il se sépare de la Cavalière. Il lui arrive d’autres aventures fort compliquées et plus ou moins inattendues. Voulant attacher son cheval à un arbre, il voit « étendue dessous, une jeune femme vêtue d’une robe de soie légère, mi-partie blanche, mi-partie vermeille, en qui il reconnut instantanément la Cavalière ». Et, à l’une des branches de l’arbre, il aperçoit le fameux trophée. Il récupère alors la tête de cerf et, beaucoup plus tard, après de nombreuses péripéties, il est assez heureux de retrouver le brachet. Alors, bien qu’il ait juré le contraire, il retourne au Château de l’Échiquier.
Il y est reçu avec joie et étonnement par la Demoiselle à l’Échiquier : « Seigneur, lui dit-elle, j’ai bien cru que tu m’avais trompée en emportant mon brachet, et j’ai cent fois déploré de t’avoir fait confiance ! Je me repentais surtout de t’avoir promis de manière inconsidérée que je deviendrais ton amie si tu me rapportais la tête du Blanc Cerf en me ramenant mon brachet. » L’étonnement de la Demoiselle n’est qu’une feinte de plus et sa duplicité ne peut faire aucun doute, puisque c’est elle qui a manœuvré pendant tout ce temps le naïf Perceval, en lui apparaissant parfois sous les traits de la Cavalière, en lui dérobant la tête et le chien, en l’envoyant combattre des ennemis plus ou moins féeriques et en suscitant autour de lui de nombreux pièges. Mais le résultat est irréfutable : Perceval a réussi, avec bien du mal d’ailleurs et souvent avec beaucoup de découragement, à surmonter les épreuves, accédant ainsi à chaque fois à un nouvel état de conscience, et elle n’a plus qu’à tenir ses engagements.
Perceval est donc choyé par la Demoiselle à l’Échiquier et ses suivantes, de belles jeunes filles qui doivent être autant de fées redoutables pour ceux qui ne suivent pas leurs volontés. Pendant le repas, la Demoiselle lui raconte comment elle a obtenu l’échiquier magique qui a été le point de départ de toute cette aventure : il lui a été donné par Morgane la Fée, en signe de très chère amitié lorsque la Demoiselle s’est séparée de la sœur du roi Arthur pour venir s’installer dans ce château. La nuit venue, on emmène Perceval dans une chambre confortable. « Perceval ne s’endormit pas aussitôt comme il en avait coutume : il pensait à la Demoiselle qui, par sa beauté, ressemblait à une fée . Il était dans cette pensée quand elle vint au lit et se coucha, de sorte qu’elle acquitta sa promesse envers lui comme il l’avait désiré. » Mais une ambiguïté subsiste dans cette sorte de « nuit de noces ». En effet, le texte précise. « Près de lui, elle ne resta pas par folie, parce qu’elle avait fait vœu de garder sa virginité. Ils demeurèrent là, côte à côte et bouche à bouche, jusqu’aux premiers rayons du soleil levant. » Il semblerait que cette union de Perceval et de la Demoiselle à l’Échiquier soit de même nature que celle préconisée par les règles de la fin’amor : tout y est permis, les privautés les plus sophistiquées, les audaces qu’on pourrait qualifier de perverses, tout sauf le coït in vas naturale . C’est ce qui semble se passer au Château de l’Échiquier. Néanmoins, Perceval qui n’en est pas à cela près n’a aucune raison de s’en plaindre, et quand il prend congé de la jeune femme à la chevelure noire, celle-ci lui indique la direction qu’il doit suivre s’il veut atteindre le château du Roi Pêcheur.
C’était le but de la manœuvre. Dans le Cycle du Graal, il ne faut jamais prendre à la lettre ce qui est raconté, surtout lorsque les allusions sont précises. De même que les chevaliers combattent des géants, des monstres, des animaux fantastiques qui ne sont en réalité que des projections fantasmatiques de leur inconscient, chaque fois qu’ils ont une relation sexuelle, de quelque nature qu’elle soit, celle-ci est significative et fait partie intégrante de la « quête », car cette « quête » concerne l’être tout entier, corps, âme et esprit, c’est-à-dire qu’elle n’est possible que par le développement physique, intellectuel et spirituel de l’individu. Les philosophes alchimistes ne prétendent pas autre chose
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