Les Dames du Graal
noir qui dévaste une partie des domaines de l’Impératrice. En le tuant, tu aurais la table. Mais si tu y vas, tu n’en reviendras pas vivant ».
Cet avertissement n’empêche nullement Peredur de se précipiter dans la direction indiquée par la jeune fille. Il se bat avec l’homme noir et celui-ci demande grâce. Peredur lui accorde la vie sauve à condition qu’il aille remettre l’échiquier à sa place, avec toutes les pièces. Mais, à ce moment, la jeune fille aux cheveux noirs arrive et reproche avec véhémence à Peredur de n’avoir pas tué l’homme noir. Peredur lui explique la raison. La jeune fille lui rétorque que l’échiquier n’a pas été remis à la place exacte où il se trouvait et lui ordonne de retourner tuer l’homme noir. Peredur obéit. Il tue l’homme noir et revient au Château de l’Échiquier. Là, il demande à la jeune fille où et quand il pourra voir l’Impératrice. Elle lui répond. « Tu ne la verras pas maintenant, si tu ne tues le fléau de cette forêt là-bas. » Et c’est ainsi que Peredur se trouve engagé dans une série d’aventures fantastiques qui s’enchaînent.
Les mêmes aventures, considérablement accrues, sont racontées dans le Didot-Perceval et la Seconde Continuation . Mais les motivations sont assez différentes. Dans la Seconde Continuation , ce n’est pas tellement pour réparer sa faute que Peredur se lance dans une folle équipée, mais parce qu’il est amoureux de la Demoiselle à l’Échiquier. Il lui avoue tout de suite son amour – ou son désir – et devient si pressant que la jeune fille est obligée de se débattre énergiquement. Elle lui dit alors : « Sans mentir, c’est la première fois qu’un homme me requiert d’amour. Tu es véritablement le premier. Mais, sache-le, si tu me prends de force, ta valeur s’en trouvera fort amoindrie. Si tu souhaites obtenir mon amour, il va te falloir aller dans le bois tout proche et y poursuivre le Blanc Cerf qui le hante. Rapporte-moi sa tête et je me soumettrai à ta volonté » (trad. J. Markale). Mais, dans la Seconde Continuation , la jeune fille se garde bien de décrire l’animal. Au contraire, dans le récit gallois, elle prévient Peredur : « Un cerf, aussi rapide que l’oiseau le plus léger ; il a au front une corne aussi longue qu’une hampe de lance, à la pointe aussi aiguë que tout ce qu’il y a de plus aigu. Il brise les branches des arbres, et tout ce qu’il y a de plus précieux dans la forêt ; il tue tous les animaux qu’il rencontre, et ceux qu’il ne tue pas meurent de faim. Bien pis : il va tous les soirs boire l’eau du vivier et il laisse les poissons à sec ; beaucoup sont morts avant que l’eau n’y revienne » (trad. J. Loth).
Dans toutes les versions, la Demoiselle à l’Échiquier avertit Perceval qu’il ne pourra atteindre le cerf sans l’aide d’un petit chien, un brachet (l’épagneul de l’Impératrice dans Peredur ) qu’elle va lui confier. Alors, le héros se lance à la poursuite de ce cerf infernal surgi tout droit d’un de ces nombreux bestiaires du Moyen Âge.
Perceval-Peredur, confiant dans sa force et dans son courage, parvient à tuer le cerf au bout d’une longue lutte. Il lui coupe la tête et se dispose à rejoindre le Château de l’Échiquier avec son trophée et le chien lorsqu’une mystérieuse cavalière profite d’un moment d’inattention pour lui dérober et la tête de cerf et le brachet. Peredur a beau protester, rien n’y fait. Dans le récit gallois, la cavalière lui reproche d’avoir détruit le plus précieux joyau de son domaine. Pour gagner son amitié, Peredur s’engage à aller combattre un homme noir qui réside sur une pierre plate, un dolmen évidemment. Mais cet homme noir se défend énergiquement et finit par s’enfuir en lui dérobant son cheval. Voici Peredur sans tête de cerf, sans chien et sans monture. Il se trouve dans une situation lamentable, et ne sachant où aller, il se met à suivre un cours d’eau dans le fond d’une vallée. C’est alors qu’il arrive au Château des Merveilles. Tel est l’épisode raconté dans le texte gallois, et qui a toutes les chances de refléter la version primitive.
Une analyse des événements démontre que la mystérieuse cavalière, qui dérobe la tête de cerf et le brachet, n’est autre que la Demoiselle à l’Échiquier elle-même, qui apparaît ici sous un autre aspect. Elle en a le pouvoir puisqu’elle
Weitere Kostenlose Bücher