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Les Dames du Graal

Les Dames du Graal

Titel: Les Dames du Graal Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Markale
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de Gand, plus bleu qu’azur, était taillé le manteau à la française qui la recouvrait. Un chapeau en plumes de paon, doublé de soie et soutenu par des rubans, comme lui tout battant neufs, pendait sur le dos de cette femme… Une tresse se dressait au-dessus de la coiffure et retombait jusqu’à la croupe de la mule, longue, noire, raide, épaisse et douce comme l’échine d’un porc. Son nez était celui d’un dogue ; deux dents de sanglier sortaient de sa bouche à la longueur d’un empan ; et les touffes hérissées de ses sourcils se dressaient jusqu’au nœud de sa chevelure… Elle portait les oreilles comme un ours. Sa physionomie rébarbative n’invitait guère aux caresses d’un amant. Elle brandissait un fouet aux lanières de soie, à la poignée de rubis. Cette mignonne personne avait des pattes de singe et des ongles non diaphanes, si j’ai bien lu mon auteur, mais crochus comme les griffes d’un lion. Bref, on avait rarement rompu des lances pour conquérir son amour » ( Parzival , trad. M. Wilmotte).
    Il y a une scène et une description analogues dans le récit gallois : « Tout à coup entra une jeune fille aux cheveux noirs frisés, montée sur un mulet jaune, ayant en main des lanières grossières, avec lesquelles elle le faisait marcher. Sa physionomie était rude et désagréable ; son visage et ses deux mains, plus noirs que le fer le plus noir trempé dans la poix. Son teint n’était pas encore ce qu’il y avait de plus laid en elle : c’était la forme de son corps ; elle avait les joues très relevées, le bas du visage allongé, un petit nez avec des narines distendues, un œil gris, vert, étincelant, et l’autre noir comme le jais, enfoncé profondément dans la tête, les dents longues, jaunes, plus jaunes que la fleur du genêt. Son ventre se relevait de la poitrine plus haut que le menton. Son échine avait la forme d’une crosse. Ses cuisses étaient larges, décharnées, et au-dessous tout était mince à l’exception des pieds et des genoux qu’elle avait gros » ( Peredur , trad. J. Loth).
    Il est évident que ces trois descriptions découlent d’une source unique. « Si j’ai bien lu mon auteur… », avoue Wolfram. On a dit et répété que le poète allemand n’avait fait qu’adapter – et parfois traduire – le texte de Chrétien de Troyes, mais il ne faut pas négliger le fait qu’il se retranche toujours derrière un autre modèle, une œuvre écrite par un certain Kyot le Provençal, dans lequel on a voulu reconnaître le célèbre trouvère Guiot de Provins. La question n’est pas résolue, et il est plus que probable que Wolfram, comme tous ses confrères de l’époque, brouille les pistes à loisir en inventant de soi-disant auteurs afin de justifier leurs affirmations ou au contraire nier celles de leur modèle. Il est remarquable, en tout cas, que la description de ce personnage féminin soit à peu près identique chez un poète champenois, un minnesinger bavarois et un conteur gallois, tous trois contemporains, à quelques années près.
    Dans le texte français et dans le texte gallois, cette femme de cauchemar n’est pas nommée, et on la connaîtra seulement sous l’appellation de « hideuse demoiselle à la mule ». Seul Wolfram lui donne un nom, Kundry la Sorcière ( Cundrie la Surziere dans l’original). Il faut avouer que l’épithète qu’il y ajoute convient très bien à la description qui en est donnée : c’est ainsi que sont présentées la plupart des « sorcières » dans les contes populaires. Et si l’on cherche une source, on la trouvera non seulement dans tous les contes oraux européens, mais dans les récits gaéliques d’Irlande, à propos de femmes féeriques aux pouvoirs inquiétants sinon maléfiques. On peut penser particulièrement à la description de Leborcham, la remarquable messagère du roi d’Ulster Conor ( Conchobar ), laquelle était difforme, mais capable de parcourir l’Irlande en un seul jour tant ses jambes étaient maigres et longues {70} .
    D’ailleurs, Kundry la Sorcière (appelons-la ainsi par commodité) est une messagère. Elle n’est pas venue par hasard à la cour d’Arthur, mais dans un but bien précis. Elle salue le roi et tous ceux qui sont présents, sauf Peredur-Perceval auquel elle s’adresse avec véhémence. « Je ne te salue pas, car tu ne le mérites point. La destinée était aveugle lorsqu’elle t’accorda talents et gloire. Tu es allé à

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