Les Dames du Graal
ontologiques. Il n’était donc pas capable de comprendre ce qu’on attendait de lui. On ne peut s’étonner qu’il ne puisse retrouver le chemin qui mène à ce château parce qu’en fait, il ne l’a pas vu. Et nombreux sont ceux qui passent près de ce château sans le voir. Car pour cela, il faut avoir acquis la vision intérieure, ce qu’on appelle le don de double vue. C’est ce don que lui transmet l’Impératrice en lui confiant la pierre d’invisibilité et en l’entraînant dans cet Autre Monde mystérieux dont elle est la souveraine. Il est bien dit dans le texte que Peredur « gouverna avec l’Impératrice ». Il partage donc le pouvoir avec elle, tandis qu’elle lui apprend sa pratique.
C’est un rôle essentiel qu’assume ici l’Impératrice. Elle est l’Initiatrice par excellence. Désormais, lorsqu’il quittera le royaume féerique, le héros sera en mesure de voir le Château des Merveilles et d’y devenir le Roi du Graal.
CHAPITRE VI
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La Demoiselle à l’Échiquier
L’aventure suscitée par la Demoiselle à l’Échiquier et vécue par le héros du Graal constitue l’un des épisodes les plus énigmatiques de tout le cycle. Elle est contenue dans trois récits différents, mais garde à chaque fois intacte sa structure originelle qui lui vient vraisemblablement d’un conte oral traditionnel. L’aventure est ainsi racontée en deux fragments distincts dans le récit qu’on appelle le Didot-Perceval (du nom d’un ancien possesseur du manuscrit), qui découle de la tradition de Robert de Boron et fait suite au Merlin du même Robert. Elle est considérablement développée, avec un grand luxe de détails, dans la Seconde Continuation , où elle prend l’aspect d’une véritable épopée spécifique. En revanche, dans le récit gallois de Peredur , elle est réduite à sa plus simple expression, selon le schéma primitif de l’épisode.
Au cours de ses errances, Peredur-Perceval arrive dans un château dont le portail est ouvert. Tout est vide et désert. Il parvient à la grande salle et aperçoit un jeu d’échecs. « Les deux troupes de cavaliers jouaient l’une contre l’autre ; celle à qui il donnait son aide perdait et l’autre jetait un cri, absolument comme l’eussent fait des hommes. Il se fâcha, prit les cavaliers dans son giron et jeta l’échiquier dans le lac. À ce moment arriva une jeune fille noire qui lui dit : Puisse Dieu ne pas t’accorder sa grâce. Il t’arrive plus souvent de faire plus de mal que de bien – Que me réclames-tu, la pucelle noire ? dit Peredur. – Tu as fait perdre à l’Impératrice sa table de jeu, ce qu’elle n’eût pas voulu pour son empire » (trad. J. Loth). Dans la Seconde Continuation , Perceval jette également l’échiquier dans l’étang, mais dans le Didot-Perceval , la fille aux cheveux noirs arrive juste à temps pour l’empêcher de terminer son geste de colère. Mais dans ces deux textes français, il n’y a aucune référence à l’Impératrice.
De toute façon, le décor est posé : le Château de l’Échiquier est dans l’Autre Monde. Peredur-Perceval s’y est introduit sans s’en rendre compte, mais il faut dire que, depuis son séjour chez l’Impératrice, il a le don de double vue qui lui permet de se diriger indifféremment à travers le monde humain et le monde féerique. L’échiquier magique fait penser à certains épisodes des récits mythologiques irlandais où des êtres invisibles, en l’occurrence des Tuatha Dé Danann , bougent les pièces sur le damier, donnant ainsi la victoire à celui qu’ils veulent privilégier. Ici, voyant les pièces bouger toutes seules, Peredur entre dans le jeu, par simple curiosité, mais il s’aperçoit que rien ni personne ne peut venir en aide à ceux qui doivent perdre. D’où sa colère et son geste malheureux : en fait, il se révolte contre le destin alors qu’il est vain de lui résister.
On apprend aussi que le Château de l’Échiquier appartient à l’Impératrice et on suppose que la jeune fille aux cheveux noirs est une de ses fidèles vassales. Il semble que Peredur a quelque peu oublié cette Impératrice depuis qu’il l’a quittée dans des circonstances qui n’ont jamais été énoncées. Cependant, comprenant qu’il a causé un tort en jetant l’échiquier dans le lac, il demande à la jeune fille comment il pourrait le réparer. Celle-lui lui répond qu’il sera pardonné s’il tue « un homme
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