Les Dames du Graal
hébergé et soigné chez une vieille dame qui est la tante de la Demoiselle d’Escalot.
En revenant du tournoi, Arthur, accompagné de son neveu Gauvain et de Girflet, fils de Dôn, s’arrête de nouveau à Escalot, mais cette fois, c’est le vavasseur qui l’héberge. La Demoiselle en profite pour s’informer du tournoi et pour savoir quels sont ceux qui se sont le plus distingués, et elle n’est pas peu fière d’apprendre que le vainqueur incontesté a été le chevalier inconnu qui portait sa manche. La soirée se passe de la meilleure façon du monde et, selon sa bonne habitude, Gauvain, qui n’est pas insensible à la beauté et au charme de la Demoiselle, lui fait une cour assidue. La jeune fille le rabroue poliment : « Ah ! Gauvain, ne te moque pas ainsi de moi. Je sais pertinemment que tu es trop riche et d’un rang trop élevé pour aimer une pauvre fille de vavasseur comme moi. Devrais-tu, du reste, m’aimer maintenant d’amour, sache que j’en serais désolée pour toi… Même si tu m’aimais à en perdre la vie, nous ne pourrions nous entendre, toi et moi. J’aime en effet un chevalier à qui, pour rien au monde, je ne voudrais être infidèle. Je te l’affirme, en vérité, je suis encore vierge et je n’avais jamais aimé avant de le rencontrer » (trad. J. Markale).
Voilà qui est net et direct. Gauvain fait contre mauvaise fortune bon cœur, mais un peu jaloux au fond de lui-même, il cherche à savoir qui est l’heureux élu du cœur de la Demoiselle d’Escalot. Comme elle ne connaît pas le nom de celui qu’elle aime, la jeune fille lui montre le bouclier que Lancelot a laissé dans la chambre et, bien entendu, Gauvain le reconnaît. Et, beau joueur, il s’écrie. « Demoiselle, ne sois pas affligée des discours que je t’ai tenus ! je me tiens pour vaincu en cette affaire… Sache en effet que celui que tu aimes est le meilleur chevalier qui soit au monde : c’est Lancelot du Lac, fils du roi Ban de Bénoïc, et s’il t’aime autant que, je le crois, tu l’aimes, jamais dame ou demoiselle n’eut pareil bonheur » ( ibid. ) Et il ajoute qu’elle peut se flatter à juste titre d’être l’amie d’un tel homme. Gauvain quitte donc la jeune fille, et comme il est incapable de garder pour lui ce qu’il vient d’apprendre, il en fait part au roi Arthur et au chevalier Girflet. Et ce secret permet au roi de tenir pour négligeables les accusations d’adultère qui ont été lancées contre Guenièvre et Lancelot.
En revanche, cette révélation, qui parvient aux oreilles de la reine, met celle-ci dans un état de fureur et de désespoir hors du commun. Croyant que Lancelot l’a trahie, elle le maudit et reporte sa colère sur le frère et les deux cousins de son amant, à savoir Hector, Lionel et Bohort, ceux qu’on pourrait appeler le « Clan des Armoricains » puisque leur origine, comme celle de Lancelot, est continentale et non pas insulaire. C’est alors que la reine est accusée d’avoir empoisonné un chevalier d’Arthur en lui offrant une pomme infestée de poison. Personne ne veut prendre sa défense en combat singulier, et l’on n’a toujours pas de nouvelles de Lancelot.
Il se trouve toujours chez la tante de la Demoiselle d’Escalot où celle-ci est venue le rejoindre et le soigne avec tendresse et passion. « Et quand, quasiment guéri, il eut retrouvé sa prestance, la jeune fille, qui le veillait plus qu’à son tour, jour et nuit, conçut pour lui… un amour si ardent qu’elle doutait pouvoir survivre s’il lui refusait ce qu’elle désirait de lui » ( ibid. ). Et, un jour, n’y tenant plus, la Demoiselle d’Escalot se revêt de sa plus belle robe et lui pose une question qui est une sorte de piège : « Un chevalier qui m’éconduirait d’amour te semblerait-il odieux ? »
Lancelot a très bien compris où elle voulait en venir. Il se sent armé pour résister à ce qui n’est même pas une tentation, car l’amour exclusif qu’il éprouve pour la reine Guenièvre ne souffre aucune entorse, aucune déviance. En fait, et l’épisode de la Porteuse de Graal, où il a fallu donner à celle-ci l’apparence de Guenièvre, l’a bien montré, il serait incapable physiquement de répondre à l’attente de la jeune fille énamourée. En cela, il se trouve dans la même situation que Tristan au moment où il vient d’épouser Yseult aux Blanches Mains, la fille d’Hoël d’Armorique : lorsque les deux époux
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