Les Dames du Graal
demander le nom d’un chevalier de passage. Plus tard, d’ailleurs, Lancelot sera invité de la même façon mais, prévenu par Gauvain, il se gardera bien d’accepter cette étrange hospitalité. Aussi, le lendemain, Gauvain prend congé et quitte le château « en homme qui n’a nul désir d’y revenir ». Ses ennuis ne sont pas terminés pour autant, car à l’extérieur, la dame a donné mission à quatre de ses chevaliers de se tenir en dehors des limites du domaine et de lui amener les « trois meilleurs chevaliers du monde » s’ils passaient par là. Et ces quatre chevaliers, qui ne sont pas tenus à la consigne du silence, rencontrent Gauvain et lui demandent son nom. Gauvain leur répond fièrement, les quatre chevaliers veulent l’emmener de force et il est obligé de se défendre, les blessant tous les quatre. Ceux-ci reviennent piteusement auprès de la dame qui comprend alors qu’elle a laissé partir l’un de ceux qu’elle s’était promis d’enterrer dans sa chapelle. Elle décide donc d’abandonner la coutume et de demander désormais son nom à tout chevalier reçu dans son château.
Il est étonnant de constater que cette histoire, dont le caractère païen ne fait aucun doute, se trouve dans un récit qui est manifestement le plus christianisé du Cycle du Graal. Mais l’ensemble du Perlesvaux , tout en étant bâti pour l’édification des fidèles, se nourrit d’épisodes empruntés à des traditions fort archaïques. Certes, la Dame sans Égale fait penser à l’Antinéa vue par Pierre Benoit dans son roman l’ Atlantide , ou encore à Ayesha, l’héroïne de She de Ridder Haggard, mais le thème de base est celui de Circé, et à travers ce personnage grec, celui de l’Indienne Kâli. La Dame sans Égale est l’universelle araignée qui guette patiemment ses proies le long des toiles qu’elle tisse autour de son domaine.
On pourrait classer dans la même catégorie un autre épisode de Perlesvaux où Gauvain se fait richement accueillir par deux jeunes filles, les « Demoiselles de la Tente ». Celles-ci s’offrent à lui, mais Gauvain, sans doute fatigué, ne répond pas à leurs avances, à tel point que les deux jeunes filles se mettent à douter qu’il s’agisse du véritable neveu d’Arthur. « Si c’était bien Gauvain, nous trouverions auprès de lui plus de plaisir qu’auprès de celui-ci. » Mais, le lendemain, Gauvain comprend pourquoi ces deux jeunes filles s’offrent à lui : elles veulent retenir le « bon chevalier » qui les délivrera d’une coutume infamante en combattant deux personnages plus ou moins sataniques. Gauvain réussit à tuer les deux monstres, prouvant ainsi qu’il est bien le célèbre neveu d’Arthur ; mais malgré l’insistance des deux Demoiselles de la Tente qui le sollicitent de nouveau, il les quitte et reprend sa quête.
Cependant, malgré sa prudence, Gauvain se trouve parfois engagé dans des aventures qui risquent de mal se terminer. Dans un des épisodes du Perceval de Chrétien de Troyes centré autour du personnage de Gauvain, celui-ci, accusé de trahison par un chevalier, s’est engagé à le combattre devant le seigneur d’Escavalon. Arrivé incognito dans cette cité, il est invité par le seigneur qui le confie à sa sœur, dans une tour magnifique. Cette jeune fille semble trouver beaucoup de charme à son hôte, et Gauvain se sent très attiré par elle : « Plus le temps passait, plus il la trouvait belle et tentante. » Ils en viennent aux douces paroles, puis commencent à s’échauffer : « Aux baisers succédèrent les caresses, celles-ci devenant de plus en plus ardentes. » Ils « décrochent » tellement qu’ils se font surprendre par le vavasseur qui, reconnaissant Gauvain, injurie la jeune fille et va ameuter la population de la cité. Gauvain et la sœur du seigneur sont assiégés dans la tour et se défendent en lançant vaisselle et meubles par la fenêtre. Heureusement, la situation, devenue fort périlleuse, s’arrange au dernier moment, et Gauvain, après avoir réglé à l’amiable son différend, prend congé de la jeune fille avec beaucoup de regret.
Il a moins de chance avec la « Demoiselle Orgueilleuse » décrite par Chrétien de Troyes dans le même Perceval , et à laquelle Wolfram von Eschenbach donne le nom d’Orgueluse. « Il aperçut alors dans un pré, sous un orme, une jeune femme qui mirait son visage d’une blancheur de neige au-dessus
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