Les Décombres
de s’être laissé imposer en 1914 une guerre de positions. Croyez bien qu’ils ne recommenceront pas, ils chercheront partout l’offensive et la manœuvre, et on verra ce qu’on verra.
Tant d’intelligence demeurait inutile, elle n’emportait même pas toute notre conviction. Cet admirable soldat, droit, svelte et vert comme un lieutenant, n’était même pas jugé digne de commander un dépôt. On lui fermait dédaigneusement l’armée, pour récupérer des colonels réservistes, professeurs et vieux notaires à bedaines de marguilliers.
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Plus souvent encore, je retrouvais mon cher Je Suis Partout.
CHAPITRE XII -
UN JOURNAL QUI N’ABDIQUE PAS
On a vu comment notre chef et fondateur Pierre Gaxotte, dans la semaine où l’offensive judéo-communiste redoublait contre nous, avait bouclé ses malles pour un voyage aux Indes. Toutefois, sa première étape ne l’avait mené qu’en Suisse où la déclaration de la guerre devait le trouver. Sa situation de réformé définitif, ses revenus d’homme de lettres heureux lui donnaient toute liberté. Trois jours plus tard, il était parmi nous. Il m’avait raconté son débat intime, sur le quai d’une gare de je ne sais plus quel canton helvétique, se sentant sur le point de dire adieu à la paix pour aller se jeter dans la plus épouvantable et stupide bagarre : « Quelle envie de tourner le dos à cette Europe, à ces idioties ! On annonçait une heure de retard pour mon train. S’il en avait eu deux, je crois bien que je ne rentrais pas. Si je suis revenu, c’est bien uniquement par amitié pour vous autres, pour remplacer au journal tous ceux qui sont partis à la guerre. » Il ne pouvait effacer d’une manière plus touchante les doutes mélancoliques qu’il nous avait inspirés.
Gaxotte partageait au plus haut chef ma tristesse et mon dégoût. « Ces Anglais sont odieux, me disait-il quelques jours après son retour, au restaurant Lutetia où nous dînions ensemble, beaucoup plus odieux que les Allemands. Ceux-là, au moins, ils font leurs conquêtes eux-mêmes, en risquant leur peau. » Il était surtout accablé de voir notre vieux maître Maurras lui-même faire son numéro dans cette pitrerie avec le découpage des Allemagnes : « Demander à un Daladier de reprendre la politique de Richelieu ! Quelle dérision ! »
Huit jours après malheureusement, sous on ne savait quelles influences inavouables à force de ridicule ou d’indignité, Gaxotte était pareil à un dévot émancipé qui a revu son confesseur, poincariste, inquiet de se conformer aux usages et civilités de guerre, effrayé de se retrouver à Je Suis Partout comme dans un lupanar ou une tranchée repérée, préoccupé de se couvrir de répondants ou d’un rempart, désapprouvant le moindre trait un peu caustique, le moindre rappel de notre scepticisme et de nos refus, cherchant à nous jeter dans les jambes pour remplacer nos mobilisés tout ce qu’il pouvait connaître de sous-Hanotaux, d’académiciens travaillant dans l’élévation des âmes, d’agents du Comité des Forges ou des finances de Reynaud. Bref, un Gaxotte perdu pour notre petite barque, n’ayant plus d’autre désir que de l’échouer, voire de la couler discrètement.
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Mais déjà, bondissant de son siège désormais inutile de critique dramatique, Alain Laubreaux avait saisi de ses deux poings la barre du journal.
Avec lui, aucune équivoque. Venu de plusieurs bandes de réfractaires et de radicaux toulousains fort débraillés dans leurs convictions, il n’avait pas à secouer comme nous des scrupules d’hommes de droite. Aucun débris de dogmes ne l’embarrassait. On peut dire qu’il s’était rallié à nous d’instinct, en 1936, du jour où ses amis démocrates avaient commencé d’agiter le boutefeu. Pas le moindre débat de conscience dans son cas, pas une seule de ces ridicules bouffées de chaleur que nous avions presque tous à confesser. Le 3 septembre au soir, il avait une fois pour toutes affiché prophétiquement ses vœux : « Il n’y a plus qu’un seul espoir pour la France : une guerre courte et désastreuse. » Il ne voulait tolérer aucune participation morale ou matérielle, si insignifiante fût-elle, à cette ignoble absurdité. Tout juste âgé de quarante ans, il se flattait très haut, n’importe où, de sa réforme de complaisance, obtenue autrefois à la colonie où il était né, pour « amaigrissement progressif », et qui
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