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Les Décombres

Les Décombres

Titel: Les Décombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Lucien Rebatet
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où elle avait perdu faute de bras tant de commandes passées à l’Amérique. Son rôle était de financer et alimenter la guerre. On calculait en livres sterling ce que l’enrégimentement d’un ouvrier coûtait à l’Île et à l’Empire.
    L’Angleterre, conductrice de la guerre, ne prenait plus cette fois-ci les moindres formes. Avec un cynisme serein, elle nous refusait ses hommes, elle exigeait pour elle le rôle de gigantesque profiteuse, elle le déclarait hautement comme si rien ne fût plus naturel. Je commençais à me demander sérieusement si elle ne souhaitait pas de nous voir épuisés à l’égal des Allemands, par la longueur et les pertes du conflit, de se débarrasser à la fois des deux concurrents en les faisant se massacrer entre eux.
    « Vingt-cinq ans d’alliance diplomatique et militaire avec un peuple, gribouillais-je le 21 octobre, c’est beaucoup, cela fait un bien vieux ménage. Il serait dans l’ordre de la nature que la paix nous trouvât brouillés avec les Anglais. Nous aurions d’ailleurs tout à y gagner. »
    Je pointais leurs gaffes, leurs retards, leurs défaillances, leurs tricheries dans la guerre comme dans la paix depuis 1914. Quelle série, depuis French qu’on n’arrivait pas à mener au canon la veille de la Marne, et qu’il fallait que Joffre vînt de sa personne remettre au pas en cognant sur la table ; depuis la sanglante et incohérente stupidité des Dardanelles, chef-d’œuvre de ce vieil excité de Churchill, sept mois donnés aux Turcs par les momies de l’Amirauté pour s’armer et se barricader, les mastodontes de l’Union Jack croisant avec une imbécile majesté au large du Détroit, attendant le jour où celui-ci serait complètement fortifié et où les attaques de mer et de terre viendraient s’anéantir sur ses parapets, soixante mille hommes massacrés pour finir en pure perte ; jusqu’aux canailleries de Lloyd George ramenant les Bolcheviks en Europe pour traiter avec eux le « business » pétrolifère de sa famille, jusqu’au servage financier exercé sur la France, livrant en gage toute sa liberté politique contre les aumônes des créanciers londoniens !
    Bien que j’eusse parcouru presque toute l’Europe, je n’avais jamais trouvé le temps de franchir le « Channel ». J’admirais depuis toujours la littérature anglaise, où les Irlandais ont d’ailleurs une si belle part, la seule qui puisse rivaliser avec la nôtre en ancienneté, en continuité et en richesse. Pour le reste, j’avais approché fort peu d’insulaires. Mais pour autant qu’il m’apparût et que l’on pût préjuger de la masse d’un peuple, celui-ci m’apparaissait bien comme le grand bourgeois de l’Europe, avec la brutalité marchande de la caste, son incuriosité d’esprit, sa routine, ses œillères religieuses, sa morgue qui pouvait du reste atteindre à un assez imposant orgueil.
    Je dois dire que Maurras de Martigues, dont on a déjà pu lire plus haut quelques beaux textes, me laissait volontiers, dans son horreur du Nord, épancher devant lui tous ces ressentiments et ne dissimulait guère combien il les partageait.
    « Les Allemands, proférait-il après je ne sais plus quelle homélie de Chamberlain, sont des candidats à la civilisation. Les Anglais sont des barbares indécrottables, armés de Shakespeare et de la Bible. »
    J’ajouterai, pour l’intelligence de cette saillie, que Maurras avait biffé un soir résolument le nom de Shakespeare d’une chronique littéraire où il était cité avec Corneille et Musset, pour le motif que Léon Daudet en parlait aussi dans son article et qu’il était excessif que ce sauvage d’Angleterre apparût deux fois dans le même numéro du journal. Nous sommes une demi-douzaine à nous souvenir de ce trait.
    * * *
    Cependant, parmi quelques-uns des disciples les plus proches du cœur de Maurras, croissait et prospérait une anglophilie installée déjà depuis bonne date dans les maisons bien pensantes où s’était mitonné le bellicismed ’Action Française. Ce cénacle était en train de trouver son doctrinaire et son porte-parole en la personne de Thierry Maulnier. Nous avions vu en effet ce lieutenant d’infanterie de trente ans, jouissant d’une santé excellente, revenir à la vie civile après vingt-cinq jours de campagne passés aux environs de Melun, nous montrant pour toute explication une feuille de papier rose qui le mettait « en disponibilité ». Jacques

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