Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les Décombres

Les Décombres

Titel: Les Décombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Lucien Rebatet
Vom Netzwerk:
de quelques roublards, quelques terroristes d’estrade près de qui le naïf idéal populaire avait cru s’épanouir. Puygrenier a dû être bolchevik, anarchiste et trotskyste. Il est fort possible que son livret matricule le marque : à surveiller.
    Il faut entendre Puygrenier sur le chapitre des communistes, des socialistes et de tous les croyants de mai 36. Il en a même contre la distinction classique entre les meneurs et leurs dupes :
    — Des gonzes qui ont pu se laisser induire en erreur comme ça, ça devrait plus avoir droit à rien. La connerie de ce poids-là, ça devrait se payer d’une façon ou d’une autre.
    — Oh ! Puy, ils sont bien punis, puisqu’ils font maintenant les pierrots avec le kaki sur les fesses.
    — Tu parles ben d’une consolation ? Est-ce que je fais pas le pierrot comme eux, moi ? Est-ce que tu l’as pas aussi, toi, le complet Daladier ? Non, mon pote. Il aurait fallu pour ces gonzes une punition collectiviste. Mais je sais ben que c’est encore une affaire d’utopistes, de la philanthropie à rebours, quoi ! Alors faut se contenter en se disant que rien n’existe, pas plus la justice que le communisme. C’est drôle, ça fait tout de même plaisir de se le penser.
    Je montais l’autre nuit une garde sans histoire, à l’entrée de notre cantonnement. Le poste est une cabane de guingois, la plus précaire et la plus sale de notre îlot de réprouvés. Le poêle avait bien voulu ronfler un peu. Nous étions suffisamment pourvus en bidons de rouge. Il y avait là Cléry, caporal et manipulant des postes, un facteur des Hautes-Alpes, un paysan de l’Isère, un mécanicien et moi-même. Nous parlions de nos métiers respectifs, de leurs tracas, de leurs avantages. Le mien ne leur disait pas grand-chose, puisque je ne suis ni de Paris-Soir pour le prestige, ni de L’Humanité pour être cordialement blagué et secrètement admiré. Mais ils m’initiaient à la vie des postes, au dur labeur du tri nocturne, aux lourdes responsabilités du receveur, et ces simples images d’un travail essentiel me rafraîchissaient de bien des palabres politiques, des arguties musicales, des médisances littéraires.
    Le mécanicien, Berthollon, est un invraisemblable trouffion, un tout petit bonhomme pareil au Simplet de Blanche-Neige, avec une capote comme une houppelande de clown, battant ses talons, lui couvrant les doigts jusqu’aux ongles, et surmonté de la plus énorme « tarte » du G. U. P., qu’il enfonce jusqu’aux oreilles. Mais sous cette défroque de marmiteux, qu’il fignole du reste dans le dessein d’embêter les gradés, pétille un œil bleu plein de gaîté et de malice. C’est un bricoleur qui vous raconte les techniques et mœurs d’une douzaine d’industries, un exemplaire vivant du « Petit inventeur ».
    Nous parlions en bons juges de l’éternelle sottise humaine. Berthollon confessait fort bonnement qu’il avait voté pour la bande à Blum, qu’il avait été un fameux c… et que pourtant il recommencerait sans doute si l’occasion s’en présentait ; parce qu’on ne peut tout de même pas être avec des vaches comme les patrons, et qu’il est à peu près fatal que l’ouvrier se fasse coyonner quand on lui promet d’embellir le sort des hommes. Nous étions sur la pente un peu glissante des rêveries égalitaires. Mais un invité venait d’entrer, le petit Julien, un pauvre bougre de l’Assistance Publique, qui depuis est remonté en ligne.
    — Moi, dit-il, je pense pas qu’on doive être des égaux et que ça soit une bonne chose. C’est parce qu’il y en a trop qui veulent être les premiers que tout est mal foutu. Je suis été placé à dix ans. J’ai appris à lire et à écrire au régiment. Je sais rien de plus. Je suis qu’un domestique de ferme. Je peux rien devenir d’autre et je le demande pas. Il faut bien de partout qu’il y ait un haut et un bas.
    Nous sommes tous tombés d’accord sur cet admirable rappel de la hiérarchie nécessaire.
    * * *
    Ces Dauphinois et ces Lyonnais, par nature positifs et sceptiques, en gardent un pli de salutaire désillusion. Les vrais communistes, dont on m’avait fait à Paris un épouvantail, sont fort rares : on ne va pas moisir dans la « biffe » quand toutes les cellules vous réclament devant les tours des usines. Deux ou trois moscoutaires que j’ai repérés sont sournois, prudents, affectent d’être des soldats convenables.
    J’ai une grande tendresse

Weitere Kostenlose Bücher