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Les Décombres

Les Décombres

Titel: Les Décombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Lucien Rebatet
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de ce brave journaliste ? Nous le mettons débardeur à la manutention, ou bien nous l’envoyons à la mine ? Allons, nous le sacrons mineur. Comme ça, il maniera le gros crayon.
    Je ne demande pas mieux. La mine est tout en haut de Briançon, juste sous la gigantesque et médiocre France de Bourdelle. On en parle avec un vif respect. Les troupiers blancs de poussière, qui arrivent en retard à la soupe, ont d’altières et sonores exigences : « C’est pas tout ça. Vivement que les cuistots nous servent, et avec du rab. On redescend de la mine, nous autres. » J’y grimpe donc avec un des coiffeurs et un horticulteur. Nous sommes remplis d’ardeur et de curiosité. Les machines à air comprimé ronflent bruyamment, des câbles, des tuyaux, des pics jonchent le sol. Le chantier est sous la direction d’une dizaine de gradés du génie. Les hommes, eux aussi, sont presque tous des sapeurs, vêtus de combinaisons bleues.
    La mine est formée par une série de galeries creusées en plein roc. Tel est du moins le plan que d’autres sapeurs, à plusieurs galons, ont dû en tracer. À la vérité, les galeries sont encore, après quelque six mois de travaux, à l’état de niches fort modestes. Celle où nous allons œuvrer contient difficilement quatre hommes. Une complète incertitude règne sur l’emploi possible de ces trous.
    On fore des chambres de mine dans le rocher au marteau piqueur, le gros crayon du capitaine, on bourre de dynamite et l’on fait sauter. Pour la première matinée, une panne de machines nous prive de nos marteaux, et l’on nous met à brouetter quelques cailloux. Le second jour, nous nous escrimons avec nos marteaux. Nous y sommes à peu près aussi habiles qu’un bûcheron à faire de la dentelle. Il faut tenir à bout de bras au-dessus de sa tête ces trente kilos trépidants, et faire mordre le granit à des fleurets usés comme de vieux clous de galoches, le tout dans un nuage de poussière et sous les glapissements de deux jeunes rempilés du génie. Il est superflu de dire que nos résultats sont plutôt négligeables. Le principal est une vibration que je garde dans mes os jusqu’au milieu de la nuit. Le troisième jour enfin, avec l’aide des sapeurs et des rempilés, nous faisons exploser nos mines. Nous recueillons triomphalement de quoi remplir trois casques de déblais.
    Avec nous, est venu de Romans un vrai mineur, Orcat, des charbonnages de la Mure. On vient de s’aviser que l’emploi de charretier auquel il a été affecté ne convenait peut-être qu’imparfaitement à ses aptitudes. Orcat est dépêché à la mine avec nous. C’est une forte tête. Il s’esclaffe librement devant notre matériel et notre technique : « Eh bien ! avec ça, vous n’êtes pas fauchés. D’ici que vous soyez de l’autre côté de la montagne, il n’y a pas loin, c’est moi qui vous le dis. » Les sergents rempilés ripostent avec aigreur. Une âpre contestation s’engage. Ils en réfèrent à l’adjudant qui va chercher le lieutenant. Orcat expose flegmatiquement comment il faut forer ici et là pour percer rapidement plusieurs mètres. Mais on lui fait sentir avec vigueur qu’un ouvrier ne va pas se mettre à transformer les règlements du plus savant corps de l’armée française. Orcat a compris. Nous aussi. Ce n’est pas encore à la mine que nous nous ferons de sérieuses ampoules. Nous chargeons et poussons une demi-douzaine de brouettes, nous amorçons la moitié d’un fourneau, durant nos cinq heures de travail. Cette cadence doit être fort normale, car désormais, personne ne nous inquiète plus.
    * * *
    La grande affaire de chaque séance est la lecture du Petit Dauphinois, que grimpe jusqu’à nos sommets un crieur. Daladier chancelle, Daladier est par terre. Je souhaite de toutes mes forces une crise aussi longue et vaseuse que possible. Je m’entretiens abondamment avec Orcat qui me plaît. Il a la dureté d’un rude prolétaire et celle du montagnard, avec le vieux fonds agressif des gars de l’Isère, les « brûleurs de loups ». Pour Orcat, la situation est fort nette. La guerre a été déclarée pour pouvoir mettre le peuple en kaki et lui clore le bec. Son mépris du régime tout entier est tel qu’avec toute sa naïveté brutale, je me sens beaucoup plus proche de lui que de tant de beaux esprits et bourgeois parisiens. Mais sur son dégoût, on n’a jamais rien semé d’autre que la propagande communiste. Sans qu’il

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