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Les Décombres

Les Décombres

Titel: Les Décombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Lucien Rebatet
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l’avoue, on devine bien que les mots d’ordre de sa cellule restent son seul catéchisme.
    En vingt-quatre heures, Daladier est remplacé par un incroyable ministère Reynaud. Je reste, comme tout le monde, obnubilé par les pitreries de la politique interne. On oublie que rien n’a plus d’importance, sinon la volonté de Londres, et que sous l’aiguillon du bellicisme anglais, une molle canaille est remplacée par une canaille du type dur. On vitupère les poings serrés le ministère à la Blum que [le misérable petit] Reynaud nous ramène : vingt-deux ministres, treize sous-secrétaires d’État, les socialistes réinstallés. Quel symbole que ce Blocus, l’arme capitale, le grand espoir démocratique, dont le ministère revient à l’un des plus imbéciles fantoches du Front Populaire, Georges Monnet ! Si Frossard faisait si âprement campagne contre l’information, c’est qu’il guignait la place. Il vient de l’obtenir.
    Pour les poilus, le détail de l’événement est vague et indifférent. Ils auraient peut-être eu, malgré tout, un petit sursaut d’espoir en voyant reparaître Blum. Le reste importe peu : « C’est du pareil au même. » Inutile de chercher à les endoctriner. Ils sont infiniment plus attentifs à d’absurdes bourdes qui courent les unités et dont voici la dernière : Daladier, d’accord avec Gamelin, épargne la vie du poilu, mais Laval est un buveur de sang qui manigance des coups pour faire déclencher une grande offensive. Comment leur expliquer qu’ils insultent ainsi l’un des deux ou trois hommes d’État qui aient condamné cette guerre, le seul peut-être qui aurait pu nous l’éviter ?
    Je me refuse à croire que le scandale du cabinet Reynaud puisse durer. La presse est très hostile. Je veux nourrir de nouveaux espoirs, cette clique doit être balayée. Reynaud obtient une voix de majorité devant la Chambre, après Dieu sait quels trucages. Qui oserait, en pleine guerre, appeler cela un vote de confiance, célébrer encore l’unanimité de la nation ? C’est un désaveu écrasant. Que la Chambre se liquéfie donc, que les ministères dégringolent les uns sur les autres. On ne continue pas la guerre à une voix de majorité, obtenue en sabotant les urnes, en maquillant les bulletins comme dans une élection à la Guadeloupe. Tous les autres politiciens détaleraient. Mais ce bandit de Reynaud est le plus cynique de la confrérie. Il s’accroche avec d’arrogantes et grinçantes tirades.
    L ’Action Française fulmine dans le désert, selon l’habitude. Tout le monde fait le gros dos, terrifié devant les conséquences entrevues d’une nouvelle chute, en s’inventant des raisons pour trouver possible, voire louable, cette réunion d’idiots et de gredins. La situation, sans doute, ne laisse point d’être choquante, déplaisamment inédite. Mais nous sommes en guerre, messieurs. Ne doit-on point obéir aux exigences du patriotisme ? Par patriotisme, on se rassemblerait derrière un nègre, derrière Ferdinand Lop. Ah ! le pays d’eunuques !
    * * *
    Bon gré, mal gré, je replonge dans la vie du Cinq-Quatre cent quarante.
    Parce qu’il est formé de quasi-territoriaux dont beaucoup grisonnent, le commandant Boudier s’est fignolé cette image qu’il a sous sa coupe une vieille garde de grognards, de durs à cuire, et doit tous nous voir sous l’aspect de grenadiers chevronnés. Mais cette fantasmagorie lui est rigoureusement personnelle.
    Au G. U. P. de Romans, on pouvait conserver un espoir, celui d’en sortir, ou de voir apparaître dans la mélasse de ce carrefour quelques éléments nouveaux. Le Cinq-Quatre cent quarante est encore plus décourageant parce que définitif.
    En dehors de la mine increusable, l ’opus magnum du bataillon est une route sur les bords de la Guisane, à cinq minutes de la caserne. Elle offre la particularité de ne mener nulle part et d’être de toute manière remarquablement superflue, puisqu’un chemin carrossable court sur l’autre rive que l’on atteint par un pont, à quelques pas de là. Depuis le début de la guerre, on a bien ouvert deux cents mètres de la route. On a entamé pour cela le bas d’une croupe spongieuse et croulante. On y pratique d’effarantes sapes. Le tout menace ruine un peu plus chaque matin, et il est miraculeux que l’on n’ait point encore retrouvé la montagne, la route, les sapes et quelques douzaines de pionniers au fond de la rivière. Mais nos hommes

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