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Les Décombres

Les Décombres

Titel: Les Décombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Lucien Rebatet
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net. Ou bien le dépôt devenait insupportable et l’on préférait encore la vie du front, ou bien la peur dominait et l’on s’incrustait au dépôt. Cette fois, le dépôt est plus odieux que jamais, mais la vie de l’avant existe à peine. Les aspirants s’excitent : « Vivement qu’on monte au baroud ! » Quel baroud, mes puceaux ? Les cent cartouches brûlées de part et d’autre du Rhin ? La situation sans changement sur la Blies ? Le prisonnier qui a été fait devant Forbach ? Le moyen de se passionner pour ces simulacres burlesquement cérémonieux ! Là-bas, ne touche-t-on pas du doigt mieux encore qu’ici la stupidité de notre équipée ? Les hommes disent parfois : « Voilà le printemps. Le grand coup peut arriver », mais sans grande conviction, et pour ma part je n’en crois rien. Ce sont encore des souvenirs qu’on traîne de l’autre dernière. Les Fritz ne sont pas fous. Et quant à nous, pour attaquer, peuchère !
    Mais ce qui existe sûrement, derrière Rhin et Moselle, ce sont d’autres dépôts, d’autres pourrissoirs à troupiers, et ces lugubres plaines jaunes, ces villages recroquevillés, ces puanteurs industrielles du bassin de Briey ou du pays de Metz. Allons ! il n’existe aucune raison valable de leur sacrifier le plumard de M. Barnarat.
    Cependant, voici des nouvelles. Le « canon de 25 » va s’ébranler pour la troisième fois, mais il paraît que c’est décidément la bonne. Il sera renforcé d’une trentaine de nos benjamins. Le sous-lieutenant Le Guinilho commande la troupe. Les hommes s’affairent, s’astiquent, palabrent avec une pointe de vanité blagueuse. À ces apprêts, une petite fièvre m’a trotté derechef sous la peau. Je me rappelle le grand départ du 2 e   zouaves, en 1915, dans mon village où il était venu se reformer, les hommes arborant ces souliers jaunes tout neufs, qui étaient le signe de la montée vers la mort. J’avais onze ans. Comme j’aurais voulu suivre les zouaves ! Franchement, le G. U. P. devient intenable. Que sera-ce sans le « 25 » qui formait sa seule cellule encore un peu virile ? J’ai demandé à Le Guinilho de m’emmener. Il me ricane au nez : « Pensez-vous ! J’ai des ordres pour ne prendre personne au-dessus de la classe 28. » Il n’ajoute pas, mais je le devine sans peine, que je suis aussi à ses yeux une espèce de morpion d’intellectuel et qu’il ne va pas s’embarrasser de ça : « Au fait, continue-t-il, nous allons d’abord dans un camp, et si vous avez envie de la riflette, vous y serez peut-être avant nous. Tout le G. U. P. détale. Vous êtes désignés pour un renfort de pionniers, dans la zone des armées. »
    Ah ! barca ! que je sois pionnier si le sort le veut. D’ailleurs, les journaux se mettent à exhaler un fumet de crise ministérielle qui m’a vite distrait des canons même antichars. Je savoure les aveux à peine dissimulés de ce désarroi qui nous venge. Hé ! leur guerre a du plomb dans l’aile, et plus vite encore que nous ne le pensions. L’aigreur de la querelle en dit suffisamment long. C’est la maffia qui se chamaille devant une nouvelle « expérience » qui tourne au plus mal : l’expérience Maginot après l’expérience Blum. C’est maintenant qu’il est succulent de reprendre les discours à peine refroidis de la résolution inébranlable, des disputes partisanes noblement reniées, de l’unité morale dans la nation pour la victoire. Lorsqu’il s’agit d’étaler sa déliquescence, ce régime ne déçoit jamais. Il devance même toujours nos espoirs. Huit mois après avoir pris la plus effrayante décision de notre histoire, le gouvernement se déjuge et s’affaisse. Bravo ! nous n’attendions pas cela si vite. Les records de l’ignoble et du grotesque sont battus.
    Les aspirants baroudent imperturbablement : « Ah ! dis donc les 13/2 [millimètres] antiaériennes [jumelées]  ? Ah ! mon vieux, qu’est-ce que ça doit faire comme travail. Et sur de la troupe à découvert ! Tu parles d’un carton ! Taragadagadag ! » Je voudrais leur brandir sous le nez les feuilles du jour : « Mais lisez donc, petits foutriquets ! Occupons-nous un peu de choses sérieuses. Comprenez donc enfin que tout fout le camp ! » Notre farce militaire ne m’est plus supportable. Je voudrais prendre à témoin chacun de la pureté de mes dernières prophéties. La censure est débordée. Elle est d’ailleurs mise

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