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Les Décombres

Les Décombres

Titel: Les Décombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Lucien Rebatet
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en accusation publique à la Chambre, dans la presse, par Frossard qui fulmine excellemment. On clame la dérision de notre propagande. On accuse le honteux débagoulage de notre radio. Le pitoyable carton-pâte du mythe Daladier s’effondre. Les marxistes S. F. I. O. exigent d’accéder au pouvoir. Au huitième mois de la guerre, on envisage froidement un nouveau ministère Blum. Voyons ! qui n’a pas compris ? Qui oserait encore accorder un kopek de crédits à ces infâmes paillasses, prétendre encore qu’on peut derrière eux marcher à une victoire ? Pour comble, la Finlande est en train de succomber, ce n’est plus qu’une question d’heures, sans que les démocraties lui aient seulement envoyé un bataillon. Ah ! si cet infâme vaudeville pouvait se terminer dans quelque gâchis parlementaire ! Mais ce serait trop beau.
    Je voudrais être à Paris. Je suis exaspéré par l’absence des vraies nouvelles, celles que l’on n’imprime pas. Qu’au moins nous changions vite de place. Cela me fera peut-être patienter quelques semaines.
    Heureusement, je n’ai plus beaucoup à attendre. Le « canon de 25 » s’est embarqué pour le camp d’entraînement de Granville, en Normandie. Neuf hommes sur dix avaient la conviction que Granville est sur le front. Ils se sont ébranlés comme pour la bataille. Les trois quarts étaient saouls à tomber. Le G. U. P. a contaminé même les gars du canon. On aura bien de la peine à leur enlever sa marque.
    Après-demain, c’est notre tour. Mais nous savons déjà que nous n’allons pas bien loin.

CHAPITRE XVII -
5/440 PIONNIERS
    Nous sommes bien partis pour la zone des armées, mais pour celle des Alpes. Le ridicule est fidèlement attaché à mes pas de troupier.
    J’ai du moins découvert, chemin faisant, l’admirable vallée de la Drôme, que je rougis d’avoir ignorée jusqu’ici. À huit heures du matin, elle a toute la lumière, les valeurs ocrées, bleutées et argentées des Corots d’Italie ; leur dessin aussi, vieilles citadelles méridionales, petits villages en colimaçons, premiers cyprès de pleine terre, châtaigniers et chênes verts agrippés aux collines sobres. Bientôt, les lignes, toujours aussi pures et nettes, se font plus tourmentées. Le coteau devient montagne, la Drôme bleue et rapide devient torrent et parle des neiges qui barrent l’horizon. La nature est en veine d’imagination et prodigue toutes ses fantaisies. Éboulis colossaux et harmonieux, ravins, falaises, gorges, cimes, chaque tournant du chemin est une surprise nouvelle. Le ciel latin est de tous côtés escaladé par des rochers étranges et élégants. C’est le paysage qui comble toutes mes prédilections, le Midi et l’Alpe, la noblesse d’une terre déjà provençale, mais soulevée d’un lyrisme qui fouette incomparablement l’esprit.
    Il s’agit bien de lyrisme ! Nous allons à Briançon, en renfort au 5 e   bataillon du 440 e   régiment des pionniers, hybrides de vieux fantassins et de sapeurs. Notre sort, dans les derniers jours, a été ballotté au gré de vingt ordres minutieux, péremptoires et contradictoires. J’ai failli devenir aviateur « rampant », mitrailleur, voltigeur. Puis, j’étais pour les pionniers le dernier de la liste, en « majoration », avec une demi-douzaine de terrassiers, deux coiffeurs et un mécanicien. À la minute suprême, les terrassiers ont été biffés, les coiffeurs, le mécanicien et le journaliste définitivement et soigneusement sélectionnés pour le régiment des remueurs de terre.
    Nous avons emmené avec nous Marseille, cheminot des Hautes-Alpes dans le civil, alcoolique à la troisième génération pour le moins, et dans le militaire le plus effarant ivrogne du G. U. P. On nous l’a légué pour en débarrasser Romans. Son dernier exploit, il y a trois jours, a été de dégueuler sur l’uniforme du capitaine qui venait de le ramasser, à minuit, ivre-mort, dans le ruisseau. Marseille, vrai paquet de fange et de poils hirsutes et jaunâtres, vient de s’immortaliser hier par ce dialogue avec le commandant Thorand qui inspectait notre détachement au garde-à-vous.
    — Marseille, n’as-tu pas honte de te dégrader à ce point, d’aller rouler par terre comme une bête ?
    — Mon commandant, c’est que j’ai le cafard de faire le con ici.
    — Hé ! bon Dieu ! réplique Thorand, si nous faisons tous les cons ici, est-ce que tu ne sais pas que c’est à cause

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