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Les Décombres

Les Décombres

Titel: Les Décombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Lucien Rebatet
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d’Hitler ?
    * * *
    Le 5 e  bataillon du 440 loge dans une des ailes de la caserne Berwick, l’ancien quartier du 159 e . Les pionniers qui nous accueillent ont de bonnes têtes placides, et bien nourries, le type classique des « pépères » de 1915. Nous croisons des figures d’un haut relief, tenant du colporteur et du pâtre, à barbes de fleuve, bissacs, pèlerines, gourdins au poing. Le lieu respire une rustique sérénité.
    Nous posons les premières questions d’usage.
    — Il n’y a pas grand-chose à foutre, nous répond-on. Ça pourrait aller s’il n’y avait pas Boudier. C’est le commandant, placier en soutien-gorge dans le civil. Ce n’est pas que ce soit le mauvais bougre, mais on ne peut pas faire plus pied. Vous allez vous rendre compte. Le voilà qui vient vous passer en revue.
    Le commandant Boudier fait, on doit le reconnaître, une composition extrêmement réussie. Béret sur l’oreille, badine sous le bras, moustache gauloise aux pointes relevées à la houzarde, cuisses légèrement arquées, la voix claironnante, le windjack barré de quinze décorations, c’est un véritable Flambeau à quatre ficelles. L’accent bref, bourru et cordial est un chef-d’œuvre. Il nous harangue comme si nous allions franchir demain le Saint-Bernard.
    — Alpins [Soldats] , vous venez de la plaine. Vous voilà maintenant aux frontières de la patrie, face à l’ennemi. Vous êtes venus sans fusil. Mais cela n’a point d’importance. Vous êtes les combattants de la pelle et de la pioche. Vous allez livrer ce dur combat avec toute la vaillance de nos traditions.
    Aussitôt, il enchaîne :
    — Est-ce qu’il y a parmi vous un trombone ?
    Silence dans le rang.
    — Voyons. Quels sont parmi vous les musiciens ? Naturellement, je ne demande pas les pianistes !
    Deux ou trois gaillards sortent.
    — De quoi jouez-vous ?
    — Du piston, mon commandant.
    — C’est toujours la même chose. Ils jouent tous du piston. Jamais je n’arriverai à avoir mon compte de clarinettes et de trombones. Ah ! que c’est insupportable, bon dieu de bois !
    Enfin, il consent à s’enquérir de nos métiers pour nous répartir dans la bataille de la mine et du terrassement.
    Il fait cela à la « petit caporal » : « Ton nom, toi ? » et il me pince l’oreille. J’ai résigné toute délicatesse, mais les familiarités de ce Gaudissart-Ratapoil me lèvent la peau.
    * * *
    Berwick est une belle et spacieuse caserne de pierre avec des douches, des lavabos sans nombre, le chauffage central partout, un effort réellement moderne. La cuisine de notre aile, à laquelle président intelligemment un boucher de Vienne et un pâtissier de Grenoble, est très honnête. Nous pourrions mener une vie fort convenable. Malheureusement, les hommes ont apporté avec eux leur crasse envahissante. Nos superbes constructions sont aussi souillées et fétides qu’un port de la mer Noire. Encore paraît-il que les pionniers ont amélioré la maison. Au départ du Quinze-Neuf, on a enlevé un train entier d’immondices. L’armée française est indécrottable.
    Je suis affecté à la 1 re   compagnie, capitaine de Bardonnèche, avec une dizaine d’autres Romanais. Les anciens nous félicitent : « Vous avez de la chance. Bardonnèche, ça c’est quelqu’un. Et il n’y a pas meilleur. »
    En dépit de sa particule, le capitaine de Bardonnèche est une figure fortement plébéienne, rougeaude et épaisse sur une massive carrure. C’est effectivement un des petits seigneurs du Briançonnais, mais à la façon du siècle et du régime. Il est instituteur, S. F. I. O., militant et conseiller général de Largentière, le bourg industriel à quinze kilomètres d’ici. On le donne pour un député fait d’avance dès qu’il y aura des élections. Il m’accueille avec bruit.
    — Alors, c’est vous, le fameux Camelot du Roy, le collaborateur de Maurras et de Daudet, qui écrivez des articles pour faire engueuler les officiers ? Vous allez me faire le plaisir de marcher droit, ici.
    Mais ce ne doit être qu’une façon de galéjer, de montrer qu’il connaît son monde et de rappeler à la galerie la vigueur de ses convictions, car il enchaîne aussitôt avec cordialité :
    — Est-ce que ce n’est pas malheureux de voir ça ! Un journaliste, et qui vous pèse tout de suite soixante-cinq kilos tout mouillé, quand il nous faudrait trente portefaix… Qu’est-ce que nous pouvons bien en faire

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