Les Décombres
bataille navale se développe formidablement. On commence le compte des navires allemands coulés. Il s’enfle d’heure en heure. Les totaux défient tout examen. Ce n’est pas possible, on doit additionner deux et trois fois les chiffres de la même dépêche.
M. Paul Reynaud va parler à la radio. La voix arrogante et grinçante s’élève. Victoire ! Victoire ! « La route permanente du minerai de fer suédois vers l’Allemagne est et restera coupée. »
Qu’est-ce encore que cette charlatanerie ? La prise de Narvik pouvait être inquiétante pour le Reich sept mois plus tôt. Mais nous sommes au printemps. Le golfe de Botnie est libre de glaces et la Suède reste neutre. On ne va pas nous faire croire que les Allemands seront incapables d’organiser le transport du minerai par cette voie. On les prive tout au plus d’une commodité. Se figure-t-on que les aciéries de l’Allemagne en guerre vont chômer pour cela ?
Mais la Chambre debout acclame M. Reynaud. C’était prévu. La marine a renfloué le ministère.
Il faut croire que l’Armada démocratique n’avait levé l’ancre que pour ce triomphe-là. Car aussitôt, elle se volatilise. On se rue aux nouvelles de la gigantesque bataille navale. Mais elle s’est déjà perdue dans le brouillard.
Les « Te Deum » n’en continuent pas moins. Leur fracas compense leur majestueuse imprécision.
Les escadres ayant mystérieusement regagné la coulisse, la vedette est maintenant au corps expéditionnaire, dont on vient de saluer avec de triples hourrahs le joyeux débarquement sur les côtes norvégiennes.
Le docte Thierry Maulnier écrit, dans Je Suis Partout hélas ! où Alain Laubreaux ne peut remplir toutes les colonnes :
« La mer du Nord est à la Grande-Bretagne. Les Allemands pourront-ils renforcer et ravitailler les quelques détachements qu’ils ont peut-être réussi à débarquer dans les régions de Trondheim et de Bergen ? Ils ne continueront à disposer, pour leurs communications avec la Norvège, que des deux bras de mer du Kattegat et du Skagerrak, mais ils ne peuvent communiquer ainsi qu’avec l’extrême-sud de la Norvège et la région d’Oslo. La région de Narvik et des minerais de fer suédois leur reste pratiquement inaccessible aussi bien par la mer, où règne la flotte anglaise, que par terre, où manquent les voies de communications. Les Alliés peuvent attaquer et détruire en mer du Nord les unités navales allemandes, débarquer à leur gré des troupes en Norvège, occuper quand ils le voudront la région de Narvik. »
Les grands chroniqueurs de notre invincibilité accommodent ces splendides raisons à toutes les sauces de l’épithète, de la morale et de la géographie. Mais les poilus, maintenant, gardent tranquillement dans leur poche les dix sous de Paris-Soir. Ils ne sauraient sans doute pas expliquer que nous voilà lancés dans une campagne pénible et pleine d’aléas, au diable vert de nos bases, quand l’ennemi assure les siennes solidement, et que Reynaud vient de se livrer à un scandaleux chantage. Mais dans leur simple sagesse, ils le comprennent beaucoup mieux que les académiciens de Paris. Ils devinent qu’on leur a encore menti, que l’aventure fait obscurément long feu, et que le seul bilan d’une vraie victoire, c’est celui des Fritz qui ont conquis le Danemark, et la moitié de la Norvège.
* * *
Les deux grandes flottes sont l’orgueil des démocraties d’Occident. On les a comptées mille fois comme le plus irrésistible atout de la victoire. Elles ont opéré une sortie sensationnelle, telle qu’on n’aurait osé l’espérer. Le résultat est nul. On apprend peu à peu que les bateaux à un milliard l’unité se sont pompeusement retirés après avoir coulé quelques destroyers. Notre maîtrise de la mer est matière d’évangile. Mais en dépit de cette maîtrise indiscutée, on est contraint d’avouer que les Allemands de Norvège se renforcent par bateaux à leur guise, tandis que c’est notre corps expéditionnaire qui pâtit, isolé, sans ravitaillement et inférieur en nombre.
Les communiqués se font modestes. Bref, nous reculons sur toute la ligne. Les rats hitlériens sont en train de nous fourrer dans la nasse où on devait si promptement les cuire. Allons ! tout se déroule régulièrement. La guerre reste fidèle à ses origines.
J’admire encore que les russomanes de Londres et de Paris aient soigneusement laissé, pour leur
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