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Les Décombres

Les Décombres

Titel: Les Décombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Lucien Rebatet
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barèmes des calculs militaires sont arrivés au chef-d’œuvre de la chinoiserie. La solde journalière de chaque homme, ou peut s’en faut, accuse sur les autres une différence de 0 fr. 374 ou de 0 fr. 843. Ajoutez-y le remue-ménage constant des permissionnaires, des malades, des subsistants, des détachés. Le prêt est un casse-tête désespérant. Le bon sergent-chef Crozier, si méticuleux et ordonné, qui gère dans le civil toute la comptabilité d’une grande firme cinématographique, le sergent Brochier, instituteur rompu à l’arithmétique, le caporal Chovin, agent d’assurances à Valence, n’en arrivent pas à bout après six jours pleins de labeur acharné, de reports inextricables, d’additions horizontales, verticales, sur des centaines de colonnes de vérifications hallucinantes où l’on trouve toujours la première fois 9 fr. 43 en trop, la seconde 17 fr. 27 en moins. Tout cela pour allonger royalement aux hommes seize ou dix-sept sous en moyenne par jour.
    J’apporte à ces calculateurs éperdus mon concours qui est faible et risque d’embrouiller à jamais leurs centimes. Mon domaine est surtout celui des fiches. Je range toute la compagnie sur des bouts de carton. J’ai la libre disposition des livrets matricules, auquel est épinglé le fameux devoir réglementaire que les conscrits exécutent en arrivant au corps. C’est un beau coup d’œil sur la science du peuple français. Les trois quarts des hommes présents ici étaient à vingt ans pratiquement illettrés, incapables d’écrire vingt mots qui se pussent déchiffrer. Et leurs connaissances de notre pays ! « Richelieu était un grand général qui a vécu au temps des rois. La Seine arrose Paris, Nantes et Toulouse. » Le bilan est joli pour l’école gratuite, laïque et obligatoire. Quels progrès ces pauvres diables ont-ils accomplis ? Ils ont appris à lire L’Humanité et Paris-Soir. On songe à ce que peuvent bien représenter ces imprimés dans leurs cervelles. Oui, mieux vaudrait cent fois un peuple franchement et complètement analphabète.
    Je fais aussi, chemin faisant, de curieuses statistiques. Nous avons au moins vingt-cinq hommes sur cent cinquante, qui, entre les jours d’infirmerie et d’hôpital, les permissions de convalescence, de détente, de semailles, les permissions exceptionnelles, n’ont pas en sept mois accompli quatre semaines de service effectif au bataillon. La moitié de la compagnie compte à peine cent jours de présence. De deux choses l’une : ou bien l’on a réellement besoin de tous les mobilisés, et alors c’est une gabegie infâme, le sabotage démagogique de l’armée ; ou bien l’on n’en a pas besoin, et il est criminel de disloquer et de paralyser la nation.
    * * *
    Ce vieux fou de Churchill supplante presque entièrement le Révérend Chamberlain. Les furibonds du bellicisme deviennent les maîtres. Pourtant, le ministère Reynaud file un mauvais coton. À vue d’œil, on ne lui donne pas trois semaines de vie.
    Le pluvieux Chamberlain a fait savoir que le blocus de l’Allemagne ne donnait point les résultats escomptés, et qu’il fallait inaugurer une nouvelle politique de guerre économique. Cela ressemble étrangement à la N. E. P. de Lénine, à la pause de Blum, aux aveux de tous les échecs dont ces théoriciens de l’impossible ont été prodigues. Nous avions donc raison pour la vanité du blocus comme pour le reste. Il est bien démontré maintenant que l’Angleterre a essayé de fermer depuis sept mois les ports de l’Allemagne tout en prétendant continuer ses négoces, et que le Reich se ravitaille à sa barbe par les trous qu’elle tolère ainsi. Quant au resserrement du blocus, pour accomplir cette grande œuvre, ô gloire, ô espoir, nous avons, on l’a vu, désigné pour notre part l’idiot du village, Georges Monnet.
    On peut bien s’esclaffer en apprenant que ces messieurs se sont réunis à Londres dans un grand conseil interallié pour « rechercher les moyens d’intensifier la guerre ». Peut-on mieux confesser qu’on ne sait, comme je l’ai tant rabâché, où entamer décemment cette guerre ? Avoir voulu si frénétiquement le conflit, le tenir enfin, et au huitième mois de la grande croisade, en être encore réduit à la quête d’un champ de bataille !
    Mais voici un très gros pétard. En grande pompe, les Alliés annoncent que leur patience est à bout, et qu’ils ont « décidé d’interdire à

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