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Les Décombres

Les Décombres

Titel: Les Décombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Lucien Rebatet
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été vidées par les réquisitions implorent en vain qu’on leur prête quelques bêtes.
    Voilà la demi-brigade de chasseurs, le Neuf-Un par devant, le Huit-Six au milieu, le Neuf-Cinq par derrière. Les cors soufflent à pleins pavillons. Mais les hommes, en troupeau, ne marquent même plus le pas. Si nous moisissons sur place, les chasseurs, hâves, boitant, déteints, sont en train de s’en aller par morceaux sur les routes. L’état-major du secteur fortifié rattrape sur eux l’immobilité de ses autres troupes. De Barcelonnette au Lautaret, de Gap au Genèvre, ils sont à leur huitième mois d’un manège perpétuel et mystérieux, un bataillon chassant l’autre devant lui dès qu’il croyait avoir touché le port.
    Mais c’est la dernière fois que je verrai les chasseurs reparaître, toujours un peu plus éreintés et délavés, comme les ministres dans les chevaux de bois de la République. Des personnages parisiens ont estimé que je ne pouvais décemment demeurer pionnier de seconde classe. Ils m’ont découvert un emploi plus adéquat à mes dons, au S. R. s’il vous plaît, au 5 e  bureau, frère jumeau du 2 e . Le 5 è  bureau recueille les renseignements, le 2 e les exploite.
    Je n’ai manifesté qu’un médiocre enthousiasme. La conjugaison des bureaucraties militaire et parisienne me répugne au plus haut chef. Je préférerais aussi ne rien devoir aux personnages en question, avec qui je n’ai plus l’ombre d’un sentiment commun. Avouons enfin ce petit ridicule : j’ai malgré tout un peu plus l’air d’un soldat sur la paille alpine que devant une écritoire des Invalides. Mais un des officiers du S. R., le capitaine V… que j’ai rencontré naguère à la table d’un de ses parents, me propose une mission amusante. Il s’agirait de converser deux ou trois fois par semaine, dans le Simplon-Orient, avec quelques voyageurs choisis arrivant du Sud-Est européen. Dans l’armée, on appelle cela « contacter ». Le « contacteur » du Simplon est un jeune capitaine d’artillerie, mathématicien émérite, mais si maladroit et gauche qu’il n’a pas lié deux conversations en trois mois. On a eu l’idée, militairement exceptionnelle, de confier cette besogne à un journaliste, opérant en complet veston.
    Ma foi ! pourquoi ne serais-je pas ce journaliste ? Je n’aurai jamais d’autre occasion d’exercer ce métier curieux de demi-espion. Il est bon de secouer l’engourdissement qui me gagne, dans ce bataillon de pionniers en chômage, parmi les cueilleurs de pissenlits et les rabâchages d’ivrognes. Hors des corps francs, où je n’irai jamais, il est indifférent de faire cette guerre n’importe où. On n’est pas plus embusqué dans le septième arrondissement qu’à Metz ou Briançon. Je me suis laissé tenter. Ma mutation vient d’arriver. Je vais faire une escale obligatoire au fatidique G. U. P. de Romans. Il est presque vide, plus lugubre et sordide que jamais. Mais les honorables rempilés et Saint-Cyriens du « noyau » sont toujours bien accrochés à leur poste. Bouboule est encore là, ainsi que mon ex-capitaine, qui ne comprend pas un mot à mon cas, subodore des irrégularités épouvantables, me colle un numéro matricule et m’enjoint d’aller faire l’exercice séance tenante. Si le lieu était de mon goût, je pourrais certainement y finir la guerre.
    Après des pérégrinations désespérées, je me décide à rédiger moi-même mes paperasses. Je découvre un trificellidé assez audacieux pour les signer, et le 25 avril je m’embarque pour Paris.

IV CEUX DU S. R.

CHAPITRE XVIII -
LES TAMPONS DU CAPITAINE
    L’imparfait est le temps dévolu aux historiens. Je ne me flatte point d’en être un, mais j’aborde dans ce récit une période historique entre toutes. Reprenons donc l’imparfait.
    J’arrivais à Paris plein d’une nouvelle ardeur. Mon nouvel avatar militaire me conduisait aux sommets de l’armée. J’allais enfin retrouver une besogne où la substance grise aurait sa part.
    Le 5°bureau était situé 4  bis, avenue de Tourville, à l’ombre du dôme des Invalides, dans un dédale de corridors et de chambrettes malaisées. Le capitaine V…, à qui je me présentai aussitôt, ancien spahi, très cavalier, semblait m’attendre avec quelque impatience.
    « J’ai un petit contre-temps à vous annoncer, me dit-il. Pour l’affaire du Simplon, le général ne veut pas prendre sur lui de faire relever un

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