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Les Décombres

Les Décombres

Titel: Les Décombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Lucien Rebatet
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de couronnes un Luxembourgeois pour un visa de séjour au Danemark ?
    Pour répondre à cette armée d’énigmes, j’avais cette pyramide de circulaires, de notes, de rapports entassés au hasard et où jamais un coup d’œil n’avait été jeté. Au bout d’une heure, j’avais compris que cette montagne, pour commencer à être utilisable, exigeait d’abord un dépouillement, un classement, une mise en fiches qui emploieraient bien trois secrétaires pendant deux mois de travail. Ce déblayage accompli, on constaterait sans doute que sous son majestueux volume cette documentation se réduisait à des broutilles. Presque tous les passeports, datant de quatre ou cinq années, n’offraient plus le moindre intérêt. Je pouvais acquérir une érudition sans précédent sur les permis de motocyclettes dans le protectorat de Bohême-Moravie. Mais notre agent à Athènes, helléniste et archéologue extrêmement distingué, paraît-il, qui se cachait sous le pseudonyme de Datos, nous avait expédié un courrier de quelque soixante-dix pages pour nous apprendre qu’il lui était impossible de connaître le régime et le prix des visas grecs. Comment oserait-on encore estampiller une pièce d’identité quelconque avec ces timbres mal décollés, déchirés, oblitérés, avec ces visas allemands décalqués sur une photo voilée, à moins d’avoir le dessein d’expédier tout droit à un peloton d’exécution le porteur d’une contrefaçon aussi grossière ?
    Dussè-je passer pour le dernier des propres à rien et me faire réexpédier par le plus court chemin dans l’infanterie, je me jurai de refuser toute complicité dans un semblable meurtre jusqu’au retour du capitaine.
    Le matériel de guerre de ce dernier ressemblait fort, en somme, à ces arsenaux qui paraissent capables d’équiper vingt bataillons, mais où des générations d’adjudants et d’officiers d’habillement ont accumulé des fusils à pierre, des chassepots réformés et des coupe-choux de gardes-champêtres.
    Je pouvais du moins « contacter M. Lemoine », comme j’en avais reçu mission. Une juive boitillante qui faisait l’office de planton m’introduisit rue de Lisbonne dans un somptueux appartement. M. « Lemoine » était un grand et sec vieillard de mise austère, au grave visage de clergyman. Mais derrière ses lunettes s’embusquaient deux petits yeux verts, pointus et fuyants, désignant éloquemment un monsieur condamné cinq ou six bonnes fois pour carambouille, attentat aux mœurs, et capable de vous fournir dans l’heure trois petits garçons, une livre de cocaïne ou cinq filles pour Buenos-Aires. Tout l’étage était une véritable usine de faux, répartie à travers un mobilier de haut magistrat. M. « Lemoine » me dirigea sur son premier chef de service, un nommé Drasch, si je me souviens bien, juif ou non, peu importe, mais en tout cas hideuse fripouille à l’accent tudesque, d’une gluante obséquiosité, qui avait collaboré quelque temps à un torchon pornographique et me donna incontinent du « cher confrère ». Avec l’indulgent sourire d’un maître ouvrier pour le profane, il me montra quelques menus secrets de ses fabrications qui paraissaient en effet irréprochables et occupaient un atelier de vingt professionnels. Il ne me cacha pas que mon apprentissage prendrait au moins quelques années, que l’aimable capitaine V… connaissait à peu près ce métier comme celui de pêcheur de perles et que la noble armée française, dont il était l’humble et obéissant serviteur, assimilait fâcheusement l’art du faussaire au demi-tour à droite.
    J’avais scrupule de priver un aussi remarquable spécialiste d’instruments dont je ne serais pas moins encombré que d’un harpon à baleine. Mais, fidèle à ma consigne, je me fis remettre un fichier complet de visas que l’estimable M. Drasch abandonna avec un profond soupir.
    Dans l’escalier, je croisai trois officiers, agents de notre service. Ils venaient en uniforme chez ces gredins, sujets d’un pays ennemi, vendus à autant d’états-majors et de polices qu’il pouvait en exister sur le continent.
    Pour le « P. C. Victor », relié aux Invalides par une navette d’autocars, c’était un gigantesque et effroyable château de la dynastie des juifs Pereire, semblable à un immense buffet pseudo-Henri II en moellons et en briques, au beau milieu de la forêt d’Armainvilliers. Une trentaine de militaires de tous

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