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Les Décombres

Les Décombres

Titel: Les Décombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Lucien Rebatet
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communications était suspendue aux vapeurs, aux humeurs, aux chaleurs utérines d’une infinité de péronnelles, éternellement furibondes. Bien pis : les services d’écoutes, alarmés à l’extrême par nos étranges propos, nous coupaient toutes les deux phrases. Ceci sans parler des fantaisies de notre propre standard. Cette facétie durait depuis tantôt neuf mois sans qu’il eût été possible de lui découvrir le moindre remède. Un coup de téléphone à Versailles ou à Fontainebleau, était chez nous une prouesse qui ne réclamait pas moins d’énergie et de ruse que la capture à la grenade d’un char de quarante tonnes.
    Le capitaine, les narines fumantes, la bouche convulsée, en était à son troisième quart d’heure au récepteur pour atteindre Marseille.
    — Allô ! Ah ! mille dieux ! Nous sommes encore collés à cette infamie de standard. Ayez la bonté, je vous en conjure, d’aller décrocher au bureau d’à côté et d’exiger, de hurler, qu’on nous décolle.
    — Allô ! Enfin ! Je parle au colonel Z… ? Ici L. T… Mes respects, mon colonel… Non, non, mon colonel. Je dis : « Mes respects, mon colonel ». Allô ! Vous n’entendez pas ? Je dis : « Ici L. T… Je dis : ici L. T. Sacré nom… Ne coupez pas. Mon colonel, on nous communique un tuyau très alarmant concernant la Yougoslavie… Ça y est ! Ah ! les misérables. Ils ont encore coupé… »
    Avant que le capitaine eût pu retrouver Marseille, la visite rituelle de « Demidoff » était venue l’interrompre. Je ne crois pas me tromper de nom. Le vocable, en tout cas, était slave. Il désignait nos éminents confrères de l’Intelligence Service. Il y avait deux « Demidoff », l’un kaki, de l’armée de terre, l’autre bleu, de la Royal Navy, son supérieur. « Demidoff » kaki apparaissait ponctuellement chaque jour, en fin d’après-midi. C’était un « captain », jeune, élégant et très distingué gentleman. L. T…, lorsqu’il le voyait entrer, tournait à la dérobée un regard excédé vers nous. Mais il n’en faisait pas moins fête, avec des exclamations attendries, à la bouteille de whisky ou aux boîtes de cigarettes dont « Demidoff » était invariablement chargé. La conversation s’engageait et se déroulait longuement, à mi-voix, suivant les protocoles d’une exquise urbanité. La plus ravissante « tante » d’Oxford n’entretenait pas moins précieusement les ladies au thé du Savoy. Par contre, le capitaine L. T…, toujours à mon endroit d’une charmante affabilité même lorsque les colonels de notre armée venaient chez nous, ne m’adressait tout à coup que de brefs et rogues commandements, comme s’il était obligatoire qu’un simple soldat français se muât en laquais devant un officier britannique.
    « Demidoff » kaki caressait et fignolait un dessein « trés trés impôtant ». Il s’agissait de la destruction éventuelle d’un tunnel sur la côte de Sicile. Il mûrissait cet exploit, m’avait-on dit, depuis un semestre. Il en développait à nouveau les circonstances, interrogeait anxieusement L. T… sur un détail imprévu. Entre-temps, il avait posé sur la table une considérable liasse de papiers dactylographiés, que notre capitaine accueillait avec des compliments infinis. Le bon commandant B… prenait livraison du paquet et me le remettait aussitôt en me chuchotant : « Jetez-y un coup d’œil si vous avez une minute, pour voir si par hasard il y aurait quelque chose qui mérite une petite note. Mais ça serait étonnant… »
    Comme j’avais la plupart de mes minutes à moi et peu de distractions, je déchiffrais consciencieusement le lot. Je nourrissais jusqu’ici, comme tout honnête Français, une vive considération pour l’Intelligence Service. Il se pouvait sans doute que cette illustre institution demeurât sans rivale pour brouiller deux bandes de rebelles afghans, trucider un prince persan, voler une concession minière, acheter un roitelet cafre ou un ministre français. Mais j’aurais eu beaucoup de peine à soupçonner quelle était son indigence militaire. Le volume de sa littérature n’avait de comparable que son enfantillage. On y suivait, imperturbablement et gravement décrite, une guerre de forts en carton pâte et de soldats de plomb. En trente pages serrées, on lisait, de source très autorisée, que sur tel monticule de la frontière libyenne, les Italiens venaient de

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