Les Décombres
fantassins, empêtrés de leurs Lebels. On avait réquisitionné et expédié sur les routes les autobus. Personne ne pouvait dire à quoi cela servirait.
Gamelin démarquait l’ordre du jour de Joffre :
« Toute troupe qui ne pourrait avancer doit se faire tuer sur place plutôt que d’abandonner la parcelle de sol national qui lui a été confiée.
« Comme toujours, aux heures graves de notre Histoire, le mot d’ordre aujourd’hui est : vaincre ou mourir. Il faut vaincre. »
Dans le métro, un capitaine, déjà aviné à huit heures du matin, me volait dessus de l’autre bout du quai.
— Vous ne pouvez pas saluer, voyou ? (j’étais à cinquante mètres de lui). Et d’abord, qu’est-ce que vous foutez là, à Paris, deuxième classe et à votre âge ? Si vous oubliez que les Allemands sont à Péronne, je vais vous rafraîchir la mémoire, moi qui vous parle.
L ’Action Française accouchait d’une nouvelle manchette historique :
« Les Allemands foncent comme des brutes et obtiennent ainsi les premiers succès.
Mais les Français les ont toujours «eus» au «tournant».
Les Allemands ont la force.
Les Français ont la force et l’intelligence.
L’intelligence vaincra. »
C’est en effet ce qui advint. Mais l’intelligence n’était point dans le camp où la voyaient Maurras et Pujo.
Une heureuse nouvelle, de Washington – une source toute proche ! – reproduite à l’envi en placards monumentaux : l’Allemagne allait à coup sûr manquer de pétrole, elle en brûlait quatre fois plus qu’elle n’en recevait, les experts américains en faisaient foi, la guerre-éclair serait bientôt stoppée.
Je n’oubliais pas qu’un certain optimisme de commande et une grande circonspection faisaient partie des règles de la bataille. Mais les journaux, en tout, mentaient avec une effronterie par trop révoltante pour qui avait les moindres lueurs sur la vérité, se tenant à six jours en arrière des événements, situant la bataille à Namur lorsqu’elle était devant Noyon, répandant l’épidémie de toutes les défaites, l’espionnite, sous son dernier nom judaïque de la 5 e colonne. Il n’existait pas de métier plus avili. Et cependant, il était fait aux trois quarts par des volontaires, une foule de barbons des lettres, dévorés du besoin de se distinguer dans le tournoi des sornettes et des harangues rancies.
On réchauffait en hâte les adjectifs horrifiques sur le trépas des civils mitraillés, le sang des petits enfants aux mains coupées jaillissait comme aux jours de Charleroi, et venait remplacer sur les feuilles celui des femmes débitées en morceaux par les assassins de faubourgs : geinte méprisable des ganaches et des scélérats qui avaient si joyeusement accepté la guerre, qui après la rossée pleurnichaient qu’on les frappait trop fort.
On ressortait au complet l’arsenal de l’indignation et de la vengeance pour stigmatiser le nouvel incendie de Louvain. Mais hélas ! si affligeant que ce fût à constater, l’effet était usé. Le peuple ne réagissait pas.
* * *
Le 19 au matin, on apprenait le ressemelage à grand fracas du cabinet et du commandement. Weygand était nommé généralissime. Gamelin disparaissait, vingt heures après avoir signé son « vaincre ou mourir ». Mes officiers se soulageaient bruyamment d’un grand poids : « Enfin ! Ce n’était pas trop tôt. Le monsieur qui partait les avait assez affligés. » On découvrait tout à coup quelle méfiance et quelle inquiétude Gamelin avait inspirées au-dessous de lui.
Le nom de Weygand, sans conteste, était réconfortant. Mais je notais sur mon cahier intime, en m’efforçant encore de modérer mon scepticisme : « N’arrive-t-il pas trop tard ? N’est-il pas le chirurgien que l’on appelle quand la péritonite est déclarée ? »
Pétain devenait vice-président du Conseil : de quoi fournir un wagon d’épithètes à la brigade des académiciens. Pour les choses sérieuses, Daladier rétrogradait encore. Reynaud renforçait son pouvoir et s’adjoignait Mandel comme ministre de l’Intérieur. [Le petit monstre] Benda, casuiste suprême de l’orthodoxie judéo-démocratique, se hâtait de rassurer les croyants. La République proclamait la suspension des libertés et la restriction de la démocratie ? Mais elle ne se renonçait pas pour cela. Elle se remettait dans le sillage des grands aînés de la Convention et ne se faisait
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