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Les Décombres

Les Décombres

Titel: Les Décombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Lucien Rebatet
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étrange signe que la présence mondaine de ce royal proscrit, dans une pareille maison, au milieu des craquements de la catastrophe et de la panique d’un régime aux abois. Une demi-heure plus tard, le capitaine V… m’appelait dans son bureau. L’illustre visiteur ne s’y trouvait plus. Mais le capitaine voulait me faire lier connaissance avec M. Pierre de La Rocque, lieutenant du Prince. Ce personnage fort discrédité dans ma petite sphère me sauta presque au cou. Lui aussi rayonnait. Le capitaine ne tenait pas en place et n’avait jamais paru plus content de lui. Je n’eus pas de peine à leur faire comprendre que j’étais dans le secret. D’ailleurs, quelques instants après, V… et L. T… m’en parlaient librement. On croisait dans les couloirs plusieurs officiers à particules qui portaient également un air de bonheur sur leur figure. Pour un moment, les infernales « Panzerdivisionen » s’estompaient. L’héritier du trône était là, arrivé dans le sillage de Weygand. La France, depuis ce matin, était un peu moins républicaine, les fleurs de lys transparaissaient en filigrane dans son ciel. Je respirais autour de moi, dans ce S. R. mystérieux et fameux, une odeur diffuse mais certaine de conspiration.
    Je ne me trompais pas. Durant ces mêmes journées bouleversées, plus d’un officier, jusque dans les états-majors des divisions en ligne, fut hanté par des mirages de pronunciamientos, au point d’en être parfaitement obnubilé dans ses devoirs de soldat. J’avais trop l’instinct révolutionnaire pour ne point en ressentir une légère ivresse. Mais le soir n’était pas tombé qu’elle se dissipait déjà. Tout était possible, mais rien ne serait fait, parce que le possible dépassait prodigieusement ces officiers bourgeois et dévots, qu’il leur eût fallu d’abord déposer les armes, qu’aucun ne se trouvait plus capable d’en soutenir un moment la pensée, et que le Prince était très vraisemblablement à leur image. L’équipée du Comte de Paris rejoignait le tunnel sicilien de l’Intelligence Service, les rêveries enfantines et platoniques de MM. les brevetés. J’apprenais que, fort prosaïquement, Monseigneur, mué en « honorable correspondant », s’était chargé pour le S. R. d’une enquête sur les sentiments de la Cour d’Italie. Il venait de nous donner son rapport, un travail d’amateur fougueux mais ne sortant point des lieux communs mondains, et dont les spécialistes galonnés souriaient avec indulgence. Il ne restait plus qu’à fournir l’héritier de Louis XIV, par grande faveur de la démocratie, d’une gamelle et d’un sac de pseudo-soldat.
    D’ailleurs, il s’abattait sur nous une trombe de nouvelles qui emportait comme des fétus l’aimable prétendant et son cortège de vagues espérances.
    * * *
    Les Allemands venaient d’entrer dans Amiens et Arras. La Somme était franchie en plusieurs points. Au-delà d’Abbeville, la mer était atteinte. Au lieu de la contre-offensive que l’on voyait moins que jamais se dessiner, les Allemands cueillaient en se jouant des objectifs que naguère quatre années d’efforts colossaux n’avaient pu leur donner, dont tant de mémoires et de graves histoires avaient affirmé l’importance vitale.
    À la gauche de la Somme, il se déroulait d’obscures et funambulesques péripéties. C’était encore une jolie nouveauté, la guerre en Normandie. Des patrouilles ennemies s’y promenaient, semblait-il, en liberté. On en signalait à Aumale, et même, était-ce croyable ? à Saint-Valéry-en-Caux. Derrière elles, l’imagination populaire battait la campagne. Un poilu venant de Rouen racontait :
    — Il y a un patelin, près de Dieppe, où sont arrivés dix motocyclistes allemands. Ils ont enlevé leurs carabines aux gendarmes. Ils sont installés à l’hôtel. Ils boivent l’apéritif à la terrasse. Paraît même qu’ils ont envoyé des cartes postales chez eux.
    Le mardi 21, un concile avait lieu devant les cartes de notre bureau. Le sous-lieutenant G… et moi, nous venions d’y jalonner les lignes avec deux cordons rouges. Un commandant dégoisait :
    — J’arrive du 3 e   Bureau. Ils sont pleins de sang-froid. Ils ont raison. Voilà la situation exacte (il rectifiait quelques-unes de nos épingles). Elle est extraordinaire, mais favorable. Les Allemands se sont invraisemblablement aventurés. Ils sont engagés dans un goulot, la Somme à leur gauche,

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