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Les Décombres

Les Décombres

Titel: Les Décombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Lucien Rebatet
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Saint-Mandé, Douat, un peu mélancolique, comptable à Suresnes, fredonnant Les Bat’ d’Af’ d’un ton si justement faubourien, Masson enfin, blond, gaiement philosophe, et comptable à Saint-Ouen. Ces trois derniers surtout capables d’emporter avec eux jusqu’au bout du monde le plus pur de Paris, dans leur accent délicieux et railleur. Pour ne point faire souffrir la moindre entorse à l’histoire, disons qu’il s’y ajoutait le Juif Worms, marchand de tableaux plus ou moins faisandés rue La Boëtie.
    M me  de…, fort distinguée, faisait en maîtresse de maison accomplie les honneurs d’une toile de tente raccommodée, chargée de tartes et de babas. Rien n’était plus exquis que de voir le petit cordonnier et la femme du monde échangeant gâteaux et propos courtois avec une égale aisance, retrouvant chacun les secrets raffinés d’une très vieille-race.
    La D. C. A. tirait maintenant sans discontinuer. Les éclatements blancs poursuivaient juste au-dessus de nous les points brillants de quelques avions qui n’abandonnaient pas [point] la place. Les vallées de l’Oise et de la Seine, remplies d’explosions, fumaient devant nos yeux comme des usines. Pontoise environnée de sinistres vapeurs, semblait la cible d’un bombardement presque constant. Nous assistions donc au bombardement de Pontoise… L’ennemi arrivait. Son avant-garde aérienne lui frayait le chemin. Sa manœuvre avait déjà été décrite. Les visages de mes camarades s’assombrissaient.
    — Heureusement, dit Masson, qu’il nous reste pour les tuder un bon stock de coups de pater noster !
    Tiens, ce comptable connaissait Jarry ?
    — De par ma chandelle verte ! Si je ne le connais pas, cornegidouille, monsieur le Palotin !
    L’ oreille au vent, en rangs pressés
    Nous marchons d’une allure guerrière,
    Et les gens qui nous voient passer
    Nous prennent pour des militaires.
    Je décidai sur l’heure qu’il n’y avait plus de Masson qui tînt et que nous possédions le Père Ubu parmi nous. Il ne manquait plus que lui à notre épopée. Tout le monde, dans notre petite bande, n’était pas aussi familier avec le héros. Mais le nom plaisait et fut acclamé.
    En bas, dans Chambourcy, le brigadier trompette s’époumonait à n’en plus finir. Si blasés que nous fussions sur les appels et les contre-appels, cette obstination devenait troublante. Nous dégringolâmes le sentier. Un excellent adjudant, qui venait de se battre durement dans une division légère, poussait devant lui les innombrables flâneurs égaillés sur tout le coteau.
    — Allez, dépêchez, les enfants. On évacue.
    Intrépide C. OR. A2 ! Il n’avait pas envoyé une seule voiture au combat. Mais dès lors que les environs commençaient à sentir le roussi, le vieil instinct judaïque commandait. Pour détaler, il saurait bien former les fameux convois.
    Un tel prodige faisait du bruit. Au milieu de notre troupeau rassemblé, Loewenstein connaissait le plus grand jour de sa carrière. C’était le Roncevaux de la 107 e .
    — Maintenant, fini de rire ! C’est sérieux, vous me comprenez ? La danse commence. Je veux trois cents volontaires dans dix minutes. Sinon, tant pis ! Je les prends par ordre alphabétique.
    Loewenstein ne désignait pas des hommes-torpilles, mais des conducteurs de camions pour la débinette.
    Ah ! si un zèle aussi héroïque eût été déployé huit jours plus tôt, le C. OR. A2 transportait jusqu’au Rhin toutes les armées de Thierry Maulnier.
    Dans le crépuscule tombant, les hurlements des margis montaient toujours plus fort.
    — Il faut encore cent conducteurs. Là, toi, toi. Et toi. Faites vos sacs en vitesse. Dans un quart d’heure ici. Et pas de rouspétance. Ceux qui ne marcheraient pas, c’est mon pétard sous le nez.
    À la lueur des lanternes, on débusquait dans la foule des bonshommes ahuris, on embarquait pour piloter des camions de cinq tonnes de braves croquants qui n’avaient même pas leur permis de conduire.
    — Comment, salaud ? Tu ne peux pas ? C’est ça, des soldats ? Tu veux mon pied au cul ? Quoi ? tu ne sais pas ? Tu sais bien toujours démarrer, andouille. Allez ! Tu suivras celui qui sera devant toi. Brigadier, prenez son nom.
    Le T  bis fournissait deux chauffeurs pour la colonne des White, Gallier et Worms. Nous regagnâmes enfin notre ferme. Les voix de la radio, tout panache disparu, égrenaient des nouvelles funèbres : Rouen et Gisors atteints,

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