Les Décombres
face, sur la forêt de Saint-Germain, presque au ras des arbres, des bombardiers, longs et renflés comme des cigares, fuyaient à tire d’aile vers le nord, laissant derrière eux un chapelet d’explosions. Dix, douze secondes au plus.
— Ah ! les vaches. Ils font ça à la sauvette.
On en croyait mal ses yeux. Mais des fumées épaisses montaient des bois, traces irréfutables.
La D. C. A., clairsemée dans la plaine, aboyait maigrement et rageusement quelques salves blanches, très loin derrière les fauves agiles. Un quart d’heure plus tard, importants, avec une hâte dérisoire, trois avions français se levaient de l’horizon.
— Les Fritz cherchent les camions, c’est sûr. Tu penses s’ils doivent être renseignés. Il va y avoir de la casse.
Les mains dans les poches de nos treillis, nous étions montés sur le coteau voir la défense de Chambourcy. Trois camarades bâillaient autour d’une antique et unique mitrailleuse Saint-Étienne, pointée droit vers le ciel, une bande engagée. Cette brave pétoire tirerait bien, avec de la chance, cinq cartouches avant de s’enrayer. Mais peu importait : nous étions réglementairement protégés.
* * *
Un Juif, par un extraordinaire hasard, s’était trouvé pendant quelques heures avec deux ou trois voitures dans la zone du feu. Il en était d’ailleurs déjà revenu.
— Je tiens à signaler, clama Loewenstein au rassemblement, le bel exemple que vient de donner à tous le maréchal des logis Cahen, ici présent, qui arrive des lignes et sera cité pour sa brillante conduite.
Cahen sortit des rangs, les yeux hors de la tête, la bouche convulsée, et glapit face à la compagnie :
— Oui ! Et que je n’entende plus dire que les Juifs ne font pas la guerre. Le premier qui ose, je sors mon revolver et je tire comme sur un chien.
J’avais encore bien des émois avec les gardes mobiles, les « hambourgeois » qui sillonnaient le pays.
J’étais abordé par des lecteurs en uniforme qui avaient reconnu mon nom à l’appel.
— C’est donc bien vous ? Nous vous croyions à la Santé.
Ils me serraient les mains, avec chaleur. Mais les protestations furibondes dont je les faisais aussitôt les confidents passaient évidemment de beaucoup les bornes de leur sympathie.
L’un d’eux, le dimanche matin 9, m’apporta une brassée des derniers journaux, qui hormis Paris-Soir ne parvenaient plus à notre trou. Maurras s’élevait avec vigueur contre l’arrestation de mes amis. Après nos derniers entretiens, je n’osais presque plus l’espérer. La caution du vieux patriote comptait bien peu devant le Juif. C’était pourtant un grand réconfort que cette voix dénonçant l’injustice qui nous accablait. Sans doute plaidait-il d’abord pour sa propre maison, dont Lesca administrait l’imprimerie, dont Laubreaux était le collaborateur. Mais lui seul, dans l’écœurant silence de la presse entière, osait tendre la main aux réprouvés.
Hélas ! avec un tel courage et une telle indépendance, pourquoi fallait-il qu’il prêtât l’éclat de son nom à tant de malfaisantes sornettes ? J’avais emporté sur moi, comme le monument de la jobardise pédantesque, les épreuves d’un article de Thierry Maulnier à paraître dans la prochaine Revue Universelle, où il faisait triomphalement, le 28 mai, le compte des forces en présence : les Allemands à Dunkerque et sur l’Oise, sans doute, mais en face de ces quatre-vingts malheureux millions de Germains, « les quatre-vingt-dix millions d’hommes du Congo belge et des Indes néerlandaises, les trois cents millions d’Hindous… La coalition qui est maintenant nouée contre l’Allemagne comprend 750 millions d’hommes. Sept cent cinquante millions d’hommes sont en guerre contre l’Allemagne. Tout un continent, l’Amérique, ajoute à cette force déjà terrifiante non seulement ses vœux, mais encore d’énormes ressources dans lesquelles nous pouvons puiser. Une victoire finale de l’Allemagne ne serait pas seulement le plus grand malheur qui puisse frapper l’humanité civilisée : elle serait un événement absurde et contre nature… Nous dominons de très loin l’adversaire, non seulement dans l’ordre des valeurs supérieures, mais dans l’ordre le plus brutal de la matière et de la force ».
Maurras faisait un sort glorieux à ces hautaines cornichonneries.
Le 4 juin, l’ Action Française s’écriait en manchettes : « Non, Paris ne
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