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Les Décombres

Les Décombres

Titel: Les Décombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Lucien Rebatet
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grillage, en tendres propos avec les belles voisines, quêtant la promesse d’un rendez-vous nocturne.
    Je voudrais décrire des soldats s’interrogeant anxieusement sur le sort de la patrie. Mais ils étaient réellement tels que je viens de le dire, en toute innocence. Et c’est parce qu’ils restaient tels que des chefs dignes de ce nom auraient pu les utiliser au mieux.
    Les hommes venus du feu rapportaient, je l’ai déjà dit, des traits incroyables. À Bruxelles, dans la nuit du 9 au 10 mai, comme on venait enfin d’apprendre que l’attaque allemande allait se déclencher, le colonel commandant la mission française demandait la protection de la police belge. Au bout de trois jours de bataille, dans cette armée française abreuvée à flots par les inépuisables pétroles américains et anglais, où l’on attendait sereinement que l’Allemagne succombât faute de carburants, presque tous les chars étaient en panne d’essence. Le soldat s’en divertissait plus qu’il ne s’en indignait. L’absence quasi complète de nos avions devant les nuées de Messerschmitt, rapportée avec une unanimité stupéfiante, laissait des souvenirs plus cuisants. Mais chacun savait bien que les aviateurs étaient des crâneurs, passant leur temps à soulever les filles aux griviers de terre. Leur défection à l’instant décisif allait les rendre plus modestes et l’on n’en était point fâché. Pour le reste, le poilu trouvait cela naturel, dans la tradition de la loufoquerie militaire qu’il connaissait à merveille. Leurs pères leur en avaient raconté bien d’autres sur la Marne, sur la Somme, sur la Champagne, qui n’en avaient pas moins été des victoires.
    Les Juifs étaient les plus nerveux, entendant le vent du boulet, très alarmés par cette bataille qui menaçait de les rejoindre et qui apportait la croix gammée. À n’en pas douter, ils sentaient mieux cette guerre que les Français. Ils y avaient quelques raisons.
    Worms, le Juif du T  bis, penchait avec moi sa tête anxieuse et crépue sur la radio.
    — On tiendra, hein ? on tiendra ? me demandait-il fébrilement.
    Infortuné Worms ! Il eût mieux valu le préparer à l’inévitable. Mais ne m’aurait-il pas dénoncé comme paniquard ?
    Weygand lançait proclamations sur proclamations.
    « La bataille de France est commencée. L’ordre est de défendre nos positions sans esprit de recul. Les exemples de notre glorieux passé montrent que toujours la détermination et le courage l’emportent. Accrochez-vous au sol. Ne regardez qu’en avant. En arrière, le commandement a pris ses dispositions pour vous soutenir.
    « L’ennemi a subi des pertes considérables. Il sera bientôt au bout de son effort. Nous sommes au dernier quart d’heure. Tenez bon. »
    Autant valait aiguillonner un cheval aux membres brisés.
    Mon débat entre un espoir et un désespoir également horribles était vain. L’événement se précipitait à toute vitesse, éparpillant mes pauvres pensées. Dans cette cour de ferme, suspendu à ces communiqués fugitifs, je reconnaissais trop bien cette bataille dont je venais de vivre sur les cartes les moindres détails, ce torrent emportant toutes les digues, cet incendie poussé par un vent de tempête qui s’étendait invinciblement.
    La voix de la radio, après avoir boulé les nouvelles fatales, l’avance toujours plus profonde et sur un plus vaste front, les masses fraîches s’ajoutant toujours à un ennemi dont la fatigue eût été notre seule chance, se gargarisait intarissablement des exploits de l’aviation alliée : les cimetières des chars allemands aux toits crevés par nos bombes, les raids impétueux de la Royal Air Force sur l’Allemagne, Hambourg, Brème, Francfort, Düsseldorf terrifiées, les voies démantibulées, les usines saccagées. Comme on eût voulu gifler les bonimenteurs quand on savait comme nous la vérité par mille bouches honnêtes et naïves !
    — Il peut toujours causer. Mais qu’il ne dise pas que j’en ai vu la queue d’un taxi à nous, en Belgique.
    Le drame se rapprochait de nous sournoisement. Deux fois déjà dans le jardin du ténor Georges Thill où nous mangions notre gamelle, Worms s’était dressé, décomposé, tandis qu’un grand avion à croix noire surgissait dans un éclair mugissant à cent mètres au-dessus de nous.
    Les gradés maintenant nous talonnaient tout à coup.
    — Alerte ! alerte ! planquez-vous. Mettez vos casques.
    En

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