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Les Décombres

Les Décombres

Titel: Les Décombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Lucien Rebatet
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l’interprète :
    — Maintenant, vous n’avez plus rien à craindre. Vous êtes sauvés. Tu reverras ton pays.
    Il se mit à rire en faisant « non » de la tête. Il n’y avait certainement pas d’idée plus invraisemblable pour lui que celle de revoir sa case après une telle catastrophe des Blancs.
    Un caporal algérien, croix de guerre coloniale et croix de guerre 1940, respirait par contre une ironique allégresse :
    — Li cap’taine a dit qu’y s’en foutait, que tout l’monde y s’dimerde. Alors, moi, j’y m’dimerde.
    Hilare, il montrait sous sa capote, pendus à sa ceinture, un lapin et un canard.
    Nous nous empressions, compatissants, autour d’une demi-douzaine d’épaves du 5 e   bataillon de chasseurs, « motorisé », disait très sérieusement l’annuaire de l’armée, durement engagés au nord-est de Paris, n’ayant point arrêté depuis d’errer sur leurs pauvres pieds écorchés. Ils étaient noirs de crasse, ils ne pouvaient plus plier les genoux. Ils étaient sans pain depuis près d’une semaine. Nous les conduisîmes à notre cuisine. Le plus jeune, à peine assis sur un banc, s’effondra endormi dans sa gamelle.
    — Son frère a été tué près de lui sur la Marne, dirent doucement ses compagnons.
    Dans les voitures et les camions, il était arrivé que l’on aperçût des lieutenants, des capitaines, des colonels. Mais parmi les dizaines de milliers de pauvres diables à pied, arrière-garde poignante de trimardeurs mourant de faim qui défilèrent devant nous, nous ne vîmes pas un officier. Pas un. On ne fera jamais croire à personne qu’ils étaient tous tombés à l’avant.
    Ce que je dis ici n’est sans doute point vrai pour tous les secteurs de cette immense débâcle. Mais je témoigne de ce que mes yeux ont vu.
    Presque aucun des pitoyables rescapés n’avait un centime sur lui. La plupart, comme tous ceux du C. OR. A, étaient ravagés d’inquiétude sur le sort des leurs, Normands, Flamands, Picards, Parisiens, Bretons, Tourangeaux, dont ils ne savaient rien depuis des semaines, qui n’avaient pu que rester sous l’occupation, peut-être sous les bombes, ou se précipiter dans la folie de l’exode. À tous ceux que j’abordais, j’essayais d’apporter quelque réconfort.
    — Courage, le plus dur est fait maintenant. C’est la fin. Nous serons bientôt chez nous.
    Ils hochaient la tête, peu convaincus. Ils se savaient battus, mais ils n’arrivaient point à croire au « cessez le feu ». Ils attendaient, l’échine triste et passive, quelque autre calamité inconnue.
    Cependant, Pétain avait donné au pays les nouvelles que je souhaitais si violemment : la demande d’armistice confirmée, les plénipotentiaires désignés, les pourparlers entamés.
    « Ce coup-là, ça ne va plus traîner, disais-je le 21 au soir à un excellent brigadier-chef de mes amis, licencié ès lettres, aspirant au doctorat, professeur d’allemand dans le Doubs ou la Haute-Saône.
    « Bah ! bah ! me répondit-il, il ne faut pas perdre confiance. Il paraît que le matériel américain débarque à Bordeaux. »
    Ce soir-là, le lendemain peut-être, nous étions allés dans une grande ferme entendre avec tout le hameau les dernières dépêches de la radio. Nous étions une vingtaine, alignés au fond de la vaste et sombre cuisine aux gros meubles luisants. Au lieu des nouvelles escomptées, une voix cléricale s’éleva, éplorée et nasillarde. C’était l’archevêque de Bordeaux qui poussait la grande jérémiade de nos malheurs. Nous subissions, mes frères, le châtiment de nos péchés. Du terrible malheur qui frappait notre chère France humiliée et blessée, nous étions tous les responsables. Nostra culpa ! nostra culpa !
    Je ne pus contenir ma fureur. Elle éclata tout haut. Ah ! sacré nom de Dieu, qu’il parle pour lui, ce braillard à chasuble. Moi, je ne me sentais coupable de rien. Au contraire. [Je n’éprouvais qu’un remords : celui de ne pas avoir eu l’audace de prêcher l’apostolat du revolver contre les ennemis de la France, de ne pas avoir eu le courage d’en donner moi-même l’exemple.] Je n’avais aucun tort, sauf celui de n’avoir pas botté cette canaille d’Église, ce bénisseur de Juifs, ce lécheur de démagogues, cet acolyte melliflue de tous les destructeurs de la France, qui nous eût fait éconduire par un de ses vicaires comme des gueux, si un an plus tôt nous étions venus solliciter son

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