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Les Décombres

Les Décombres

Titel: Les Décombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Lucien Rebatet
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aide, nous, les seuls qui eussions crié au casse-cou, mis nos pauvres carcasses en travers de l’ennemi belliciste. Le désastre n’était même pas encore consommé, et déjà les ratichons déployaient leurs manches et leurs soutanes pour couvrir les malfaiteurs, lançaient le « peccavimus » général pour embrouiller la justice et noyer les grands crimes dans leurs patenôtres. [Ah ! les fétides et venimeux cafards !] N’allait-on pas enfin leur intimer silence [, le poing sous leurs gueules immondes]  ?
    * * *
    — À Gien, racontaient des poilus, en plein bombardement, il y avait une femme, pas une fauchée, du beau linge, à côté d’une grosse auto en panne. Elle levait sa jupe jusqu’au menton, [sa culotte par terre, tout son chose à l’air, ] et elle criait : « Je me donne ! je me donne à celui qui me conduira ! Je me donne à celui qui me sauve. »
    Ils décrivaient le sac des magasins, des villages, par les hordes d’émigrés, les bandes de soudards, souvent les voisins du fugitif pris d’une frénésie de vol, qui démolissaient les portes, brisaient les fenêtres, vidaient les maisons abandonnées.
    — Les Fritz auront bon dos. Ah ! c’est beau à voir.
    D’autres encore expliquaient comment ils s’étaient sauvés d’un bourg, dans la venette générale, au milieu de trois ou quatre mille hommes qui se rendaient à une demi-douzaine de motocyclistes allemands.
    On aurait formé des bataillons avec les troupiers qui arrivaient sur des tricycles, des vélos de femmes chapardés. Certains poussaient devant eux depuis Rambouillet ou Orléans des voitures d’enfants où ils avaient mis leurs casques et leurs cartouchières, entre des bidons de vin, des bouteilles d’apéritif, quelques conserves ou quelques poulets raflés au petit bonheur.
    Des nuées de romanichels kaki rôdaient le bâton au poing, en quête d’un morceau de pain, d’une botte de paille, d’un coin de terre battue où s’étendre. Devant cette invasion hirsute, toutes les boutiques de Siorac avaient clos leurs volets.
    Et l’on parlait encore d’un nouveau départ. Une section de tirailleurs marocains, l’unique troupe à pied en bon ordre que nous eussions vue depuis la Loire, venait de s’installer à l’entrée du pont de la Dordogne. Elle avait creusé un trou d’homme près du parapet et mis en batterie dedans un fusil-mitrailleur.
    Nous demandions à l’adjudant du détachement le sens de ce déploiement de forces.
    — Défendre le passage, nous dit-il sérieusement. Si les Fritz arrivent jusqu’ici, nous avons mission de résister.
    Ainsi, vingt mille hommes sans une cartouche, les bras croisés, en contempleraient quinze chargés d’arrêter sans doute une division entière, et qui feraient démolir et ensanglanter un canton. Ce serait vraiment un fait d’armes digne des héritiers de Marengo et de Wagram.
    On disait à tous les coins de rues et de granges que Pétain n’avait pu accepter les conditions des Allemands et que la lutte allait continuer !
    J’étouffais d’impatience. N’arriverions-nous donc jamais à la fin de cette turpitude ? Pouvait-on avoir la plus petite confiance dans ce nouveau ministère, pareil aux plus plats et aux plus médiocres de la démocratie, avec son Chautemps, son Pomaret, son Chichery, son Frossard ? Et ces généraux qu’on expédiait aux Allemands ? Ces ganaches, ces avocassiers pouvaient-ils comprendre qu’il n’y avait plus à tergiverser une seconde si l’on tenait à sauver quelques parcelles de la France, si l’on ne voulait pas qu’elle fût démantibulée et décomposée sans recours ? Après n’avoir su ni éviter ni faire cette guerre, serait-on capable d’y mettre au moins un terme pendant qu’il nous restait encore quelques lambeaux de territoire ?
    J’étais sans doute injuste, mal renseigné, mais la torture que subissait un Français malheureusement doué de sa tête était trop exaspérante elle aussi.
    * * *
    Le 23, dans la matinée, nous apprîmes que l’armistice était signé avec l’Allemagne. Mais pour qu’il entrât en vigueur, il fallait attendre que l’on en eût conclu un second avec les Italiens. Mortel délai. La 107 e   compagnie, depuis la veille, cantonnait à cinq ou six kilomètres de Siorac, dans les communs du château d’Urval. Je passai presque toute cette journée prostré dans la paille. Des soldats, autour de moi, rabâchaient des gaudrioles ou des âneries. À la nuit tombante,

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