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Les Décombres

Les Décombres

Titel: Les Décombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Lucien Rebatet
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plus rien à croire, de qui que ce fût, conclusion alléchante elle aussi pour tous les Voltaires de bistrot.
    Nous avions là un rôle épineux et sévère à jouer, mais le plus conforme à ces macérations et ces repentirs dont on parlait tant. Dans sa phrase sur « les mensonges qui nous ont fait tant de mal », le Maréchal avait tracé la voie. Ce n’était pas à lui d’aller ensuite débusquer un par un ces mensonges. On répétait à l’envi sa magistrale formule. Mais cette répétition rituelle semblait être à elle seule une panacée. Elle paraissait dispenser de toute recherche désobligeante des meneurs [menteurs]. On se gardait d’y ajouter des exemples concrets. Ceux mêmes que Pétain avait fournis sur l’indécente disproportion de nos faibles armes et du tableau formidable qu’on en avait fait, étaient discrètement passés sous silence. Sans doute trop de personnages éminents, à étoiles militaires, à pourpre cardinalice, y voyaient-ils trop clairement rappeler leurs complicités criminelles.
    Tout le monde, au surplus, ne paraissait point si pressé d’enlever ses illusions à notre peuple. Beaucoup de lettres d’auditeurs, les plus véhémentes surtout, étaient acheminées sur l’entourage immédiat du Maréchal. Nous ne pouvions plus douter que ce petit état-major très fermé et distant les utilisait volontiers contre nous. Ses échos commençaient à nous parvenir, par les méandres d’une hiérarchie bizarrement ramifiée, sous la forme de suggestions ambiguës, de conseils réfrigérants, de rappels à la prudence et à la mesure, voire de sèches observations.
    Je me récriais. Je concevais mal que l’ardeur pût être un défaut devant le grand travail qui nous incombait et dont chacun assurait qu’il devait être révolutionnaire. Puisqu’on parlait tant de refaire l’âme des Français, il fallait bien reconnaître aussi que nous comptions devant nos microphones parmi ses directeurs de conscience, et que nous ne reforgerions pas cette âme en lui chantant des berceuses. Qu’il fallût ménager l’épiderme de la malade, j’en convenais, et Dieu sait quels ménagements de plume, souvent comiques à nos yeux, nous prenions. Mais pas plus que mes amis, je ne croyais aux dosages et aux faux-fuyants. L’expérience avait assez montré l’inanité de ces préceptes bourgeois. Après tant d’années d’avantageuses inepties, des réactions étaient fatales. On pouvait en sourire, s’en attrister, mais point s’en décourager. La persévérance dans une vigoureuse franchise était notre plus sûr moyen. On impose tout aux foules par les forces de l’habitude. C’est le rudiment de toute propagande. Notre produit était bon, nous savions que l’avenir confirmerait avant peu ses vertus. Nous pouvions hardiment lancer sa publicité. Nous rallierions vite à nous les esprits les plus sains et les plus, fermes, ils mordraient à leur tour sur la pâte amorphe et malléable de la masse. Nous n’avions plus, grand merci, à ménager et à enfariner des électeurs. Guider enfin l’opinion publique, au lieu d’être à la remorque de ce monstre naïf, c’était administrer la plus belle preuve que la démocratie avait bien vécu.
    Mais ces vues étaient apparemment peu orthodoxes. Moins de deux semaines après mon arrivée, de consignes en consignes, de censures en émondages, nous avions déjà dû délayer de tant d’eau notre vin qu’il tournait à la pâle piquette.

CHAPITRE XXV -
LES VAINQUEURS DE L’HOTEL DU PARC
    Au mois d’août de l’été 1940, le grand salon de l’hôtel du Parc était le pôle des soirées vichyssoises. Il fallait bien être le dernier des faquins pour ne pas y venir faire au moins son tour après chaque dîner. Les femmes mettaient une robe habillée, les hommes, dans leurs fauteuils, une chartreuse verte ou une coupe de champagne devant eux, prenaient des poses de grands laborieux qui se détendent quelques instants après un écrasant labeur d’État. Beaucoup, à vrai dire, continuaient tout simplement sous les lampes les papotages qui avaient rempli leur journée.
    Dès la porte, on apprenait l’incident d’actualité au Parc. Notre ami Claude Jeantet, que nous avions retrouvé attaché à la presse diplomatique, fournissait abondamment cette chronique, en dépistant les indésirables avec une vigilante opiniâtreté.
    Son plus beau coup de botte avait illustré le derrière du sieur Philippe Roques, chef de cabinet de

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