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Les Décombres

Les Décombres

Titel: Les Décombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Lucien Rebatet
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devant tous tant de crapules, l’immensité et l’utilité de la tâche nous aiguillonnaient. Il régnait au 80 une animation, une atmosphère de labeur gai qui nous rappelaient bien des heures de notre Je Suis Partout.
    Nous avions été reçus en troupe par Pierre Laval, devenu, en même temps que vice-président du Conseil, le superintendant de l’Information, au fond du corridor, dans sa chambre-bureau guère plus vaste et luxueuse que la nôtre. Les trois réprouvés de Je Suis Partout eussent été bien ingrats en ne lui marquant pas quelque reconnaissance pour les avoir accueillis si délibérément et si vite dans les services de l’État. Pour chacun de ces hors-la-loi, il avait un mot cordial :
    « Et vous, est-ce que vous m’arrivez aussi de la prison, comme Laubreaux ? »
    Il nous parlait de ses intentions, qui ressemblaient fort aux nôtres.
    Nous pouvions travailler.
    * * *
    Je me le figurais du moins. Je demeurais, nous demeurions de bonnes pâtes de bougres toujours prêts à marcher droit devant nous.
    Mais la semaine ne s’était pas écoulée que j’avais déjà reconnu toutes les chausse-trapes dont la fourbe vichyssoise semait notre chemin.
    La radio, quand on l’entend de loin, possède une éloquence singulière. J’avais cru y entendre la voix d’une nouvelle France bien faible, mais honnêtement aiguillée.
    J’arrivais à la source de cette voix. J’y trouvais un service entouré d’ennemis. Son chef, Pierre Laval, venait de reconstruire l’État. Il en était, aussitôt après Pétain, le plus haut personnage, le « dauphin » désigné. Or, il faisait dans cet État même figure d’intrus. Il n’était pas depuis deux mois revenu aux affaires, et déjà il ne comptait plus ses ennemis.
    Il m’avait suffi de jeter un coup d’œil sur les feuilles émigrées de Paris et qui reparaissaient à Clermont-Ferrand, à Lyon, à Marseille, pour juger l’idiotie cette fois bien définitive del’ Action Française, Maurras frisant ses proses sur notre glorieuse défaite comme les généraux à éperons leurs moustaches, faisant caracoler les dadas de l’intransigeance et de l’altière dignité, intransigeance et dignité de quarante malheureux départements que la division allemande de Moulins traverserait, s’il lui prenait cette fantaisie, en une demi-journée. Je savais que Maurice Pujo faisait circuler en sous-main une mise en garde contre « le clan des ia   ».
    J’aurais pu m’estimer, aux yeux de ces messieurs, pur de tout reproche. Ils m’avaient décerné, ainsi qu’à mes amis, mon brevet de courageux et lucide Français quand nous dépeignions, en 1938, Churchill comme un crétin de la démocratie, et le Juif comme la vermine du monde, quand nous réclamions de l’Angleterre un peu moins de bellicisme puritain et un peu plus de conscrits. J’aurais pu m’étonner d’être devenu abominable à leurs yeux en reprenant la même tâche, alors que la lâcheté, la duplicité et l’arrogance juive ou britannique dépassaient de cent coudées nos plus sévères prévisions, me demander par quels détours les Juifs et les gredins de Londres, déchaînés contre nous, vomissant sur notre pays les plus infâmes injures, devenaient moins odieux et malfaisants pour être aussi les ennemis de notre vainqueur. J’avais d’excellentes raisons de penser que cette identité de griefs pouvait au contraire servir à jeter, entre la France et l’Allemagne, un pont où il faudrait bien que passât toute politique qui ne fût pas le fruit de la folie ou du-désespoir. Mais tout s’effaçait devant mon indignité subite. Je parlais bien à la radio antianglaise et antijuive, mais c’était aussi la radio de Laval, la radio des «  ia   ».
    Je venais de rencontrer, en face de l’hôtel du Parc, M. Henri Massis dans son étincelant uniforme de capitaine-littérateur, arborant une croix de guerre toute fraîche, gagnée par la magnifique élévation de pensées dont il avait fait preuve comme journaliste d’état-major aux arrières de l’armée Huntziger, la plus brillante armée des loisirs et des théâtres militaires, devenue, pur hasard, n’est-ce pas ? l’armée du second Sedan et de la charnière démolie. M. Massis me reconnut à regret, avec un sourire contraint, tendit deux doigts et s’esquiva aussitôt.
    L’opinion d’Henri Massis m’importait peu. J’éprouvais une admiration fort vive, mais assez spéciale, pour cet écrivain sans

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