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Les Décombres

Les Décombres

Titel: Les Décombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Lucien Rebatet
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Mandel, l’agent de la banque Lazard, le distributeur officiel des fonds juifs à Kérillis et autres bellicistes, qui venait d’avoir l’audace de s’exhiber en plein hall du Parc. Les témoins et les gardes avaient cru nécessaire de mener au commissariat le justicier et le salaud.
    — Voyons, M. Jeantet, gémissait le commissaire. Je ne comprends pas. Ce monsieur ne vous a pas provoqué.
    — Il n’aurait plus manqué que ça ! Mais dites-moi, monsieur le commissaire, ne trouvez-vous pas que sa présence était déjà une suffisante provocation ?
    Dans le salon, se côtoyaient sans beaucoup se confondre les deux partis que la nouvelle terminologie politique, non moins effroyable que l’ancienne, désignait par « collaborationnistes » et « anticollaborationnistes ».
    Le premier, où je retrouvais la plupart de mes anciens amis, se groupait volontiers autour de la table d’Adrien Marquet, depuis quelques semaines ministre de l’Intérieur, grand, mince, impeccablement mis, parlant d’abondance, disant très haut ce que beaucoup murmuraient tout juste, pouvant s’honorer à bon droit de la haine qu’il avait inspirée pendant quatre ans aux assassins de la France.
    [Son ministère, cantonné plutôt qu’installé parmi les salles peinturlurées du Casino, semblait bien avoir sérieusement rompu avec la tradition de la rue des Saussaies, montrait du moins que dans un gouvernement, la direction imprimée à un personnel compte beaucoup plus que ce personnel lui-même, à la condition qu’on lui inspire quelque prudent respect. On lui devait l’expulsion des coquins et des youdis les plus voyants de Vichy. Une assez solide doctrine antisémite paraissait s’installer chez ses principaux fonctionnaires. Ils entrouvraient enfin pour nous les dossiers les plus secrets de la République. Nous apprenions ainsi que sans avoir besoin de prendre la moindre mesure antijuive, on pouvait légalement, du jour au lendemain, jeter hors de France deux cent mille Juifs parasitant sur notre sol, pour l’unique raison qu’ils n’avaient pas leurs papiers d’étrangers en règle. Le difficile restait de trouver une frontière qui voulût bien s’ouvrir devant une telle horde. Mais personne ne nous empêchait alors d’ouvrir ou d’agrandir quelques beaux et bons camps de concentration, qui fussent aussi des camps de travail, et de travail enfin profitable au pays.]
    Derrière nous pourtant, à la table de cette éminente douairière, on professait du meilleur ton que si l’antisémitisme avait été naturel et utile jadis, il était indigne de l’élégance française de s’attaquer aux Juifs, maintenant que les Allemands les pourchassaient chez nous.
    Cette marquise du VII e   arrondissement, qui avait fait à ses dîners quatre ou cinq élections académiques, profitait de ce qu’un correspondant de journal allemand était à la table voisine pour crier :
    — Alors, chère amie, vous venez demain matin chez moi au Queen’s ? Ma petite radio marche, c’est une merveille ! Nous prendrons Londres, De Gaulle doit parler. Ils l’ont annoncé ce soir. Comment ? Vous ne l’avez pas encore entendu ? Mais c’est inouï !
    Les militaires, pour ces soirées, arboraient volontiers des tenues civiles, d’un chic martial. Force vieux messieurs les imitaient. C’était une variété infinie de cravates de cheval, de culottes à côtes, de basanes, bottes, jambières, guêtres du style « tirés de Rambouillet ». Je n’avais jamais si bien compris l’étymologie de « culotte de peau ». Le spectacle donnait admirablement le ton vichyssois : manoir à la fin d’une chasse à courre entre agents de change, officiers supérieurs, gentilshommes campagnards, et ouvroirs pour dames patronnesses de Saint-Thomas d’Aquin, ou de Saint-François-Xavier, avec un vieux relent des couloirs du Palais-Bourbon.
    Ces mâles harnachements étaient un vrai signe de ralliement, la profession de foi de « ceux qui ne s’estimaient pas battus », une façon de dire qu’on ne se démobilisait pas.
    La moustache blanche gaillardement retroussée, le colonel de C… confiait dans le hall à d’autres pétulants sexagénaires (nous fûmes vingt qui l’entendîmes) :
    — Ça va très bien. Les Anglais tiennent magnifiquement. Nous remettrons ça au mois de mars. J’ai vingt-cinq fusils mitrailleurs enterrés dans ma ferme, sous un tas de fumier, pour mes cavaliers. Ah ! ce coup-là, je vous garantis

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