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Les Décombres

Les Décombres

Titel: Les Décombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Lucien Rebatet
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lendemain, pour tuer une heure – ces heures-là étaient nombreuses à Vichy – il n’y avait d’autre ressource que de retourner à la Restauration.
    Tout ce que la France compte d’illustrations fausses ou vraies, hormis les prisonniers, passa sous les ombrages et devant les guéridons de fer de ce vaste café d’été. On allait y rejoindre ou y découvrir les nouveaux arrivants. Jacques Doriot surgissait, robuste, haut et massif. Mobilisé à quarante-trois ans comme caporal dans un régiment régional, il ramenait de la guerre deux citations authentiques, gagnées au bout du fusil parmi les poignées de tirailleurs de l’arrière-garde. Il ne portait pas de ruban… De ses yeux noirs pétillants derrière les lunettes, il contemplait les splendides brevetés d’état-major, médaillés jusqu’au nombril, en vareuses conquérantes de chasseurs à pied ou de dragons. Il assurait que l’air vichyssois le rendait malade. Il avait une hâte extrême de se remettre à un travail réel, et pour première condition, de retourner à Paris.
    On voyait beaucoup la barbe noire et pointue d’Eugène Frot, bouc émissaire du Six-Février pour la droite comme la gauche, ce qui ne laissait pas de le rendre sympathique, oscillant curieusement pour l’heure entre la Maçonnerie et le fascisme, manifestant en tout cas un antijudaïsme vigoureux.
    Il racontait une des belles histoires de la grande fuite. À Montargis, son fief, le 15 ou le 16 juin, en pleine déroute, la foule pillait sauvagement un magasin de chaussures. Frot essaye d’intervenir. Il voit surgir de la boutique, apoplectique, le faux-col à moitié arraché, l’un des bourgeois les plus considérés et les plus cossus de la ville, brandissant de chaque poing une superbe paire de souliers. Le bourgeois reconnaît Frot, s’arrête bouche bée, de rouge devient cramoisi, et montrant son butin :
    — Ah ! monsieur Frot ! comme on se dégoûte d’être Français !
    Puis il détale. Mais il n’a pas lâché ses souliers.
    Un géant barbu et rubicond, vêtu d’une vareuse du temps de la marine en bois, coiffé d’une surprenante casquette qui tenait du cocher russe et du loup de mer, venait avec assiduité prendre son apéritif. C’était M. Watteau, général de l’Air et grand avoué parisien. Les étoiles, la sainte forme : avec de pareils titres, M. Watteau ne pouvait manquer d’être juge à Riom. À le croiser vingt fois par jour, bourlinguant par les rues, bâillant [bayant] aux vitrines, allant des rotins de l’hôtel des Princes aux chaises longues des Ambassadeurs, on pouvait apprécier à son exacte mesure le labeur qui écrasait un magistrat du plus grand procès de notre histoire.
    Les littérateurs étaient innombrables. De talent ou non, ils battaient pour la plupart, dans leurs propos politiques, tous les records de sottise et d’enfantillage. Or, la littérature ne voulait plus parler que politique.
    L’illustre Cagoule, regroupée, avait à la Restauration son principal poste de commandement. On y voyait Méténier, le « capitaine », ayant assez bien l’air d’un inspecteur d’assurances devenu pirate, collectionnant presque autant de jours de prison que les plus fameux anarchistes de jadis ; le célèbre docteur Martin, quelque peu inquiétant avec ses cheveux redressés en torche et ses yeux gris illuminés. Notre petit groupe de « fascistes » était avec eux dans les meilleurs termes. Leur instinct révolutionnaire méritait bien quelque crédit. Mais déjà, on devinait, dans cette poignée d’hommes, nos seuls spécialistes de l’attentat, si utiles et si mal utilisés, une burlesque dissidence, une cagoule parisienne et saine, une autre « anglaise », déplorablement et follement vichyssante.
    Chaque jour, vers midi et vers six heures du soir, à l’heure de la grande affluence, un jeune abbé arpentait longuement l’allée des Sources, croix de guerre flambante au vent, la barbe agressive, à la zouave de Crimée, le chapeau sur l’oreille comme un képi de légionnaire. On cherchait du regard des éperons sous sa soutane et à sa ceinture le pistolet et le sabre d’abordage. Celui-là non plus, fichtre ! n’était pas encore vaincu par les Panzerdivisionen et le paganisme nazi.
    Tous les Jésuites de l’école du R. P. Bonsirven et du rabbin Maritain étaient là. Ils se félicitaient très haut de leur dernier fait d’armes. Le correspondant du D. N. B. allemand venait de rendre

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