Les Décombres
prétendit, avec son soi-disant pacifisme, démobiliser à son image le monde surarmé de 1919. Elle interdisait en même temps à des peuples pléthoriques, le Japon par exemple, l’essor pacifique que réclamait leur extraordinaire vitalité. Elle eût voulu exiger à la fois qu’ils étouffassent dans leurs cloisons trop étroites et qu’ils ne se forgeassent aucun moyen d’en sortir. Elle reprit sa fameuse politique de balance continentale, mais elle ne savait plus en lire les poids. Elle avantagea l’Allemagne en brimant et bridant la France docile, jusqu’à l’apparition de l’hitlérisme si facile à prévoir. Elle cadenassa alors le Reich dans sa chaudière, sans s’apercevoir qu’ainsi comprimée sa force explosive allait décupler. Elle l’entrevit fort tard. Mais cela ne l’empêchait point de juger toujours si méprisable l’Italie, son soldat du Brenner, qu’elle la rejetait par ses affronts dans le camp allemand. La France, son soldat du Rhin, lui paraissait encore trop gaillarde, et elle travaillait activement à lui déléguer le ministère Blum.
Elle déclara donc sa guerre, à son heure, après avoir eu tout loisir de réflexion. Quel prodige ! L’Angleterre avait consacré, très tard, beaucoup de livres sterling à son réarmement. Il fallait que ce capital rapportât dans le plus bref délai. La rentabilité de ses cuirassés et de ses bombardiers l’emportait dans ses calculs sur sa propre faiblesse, sur l’incurie et l’avachissement de sa partenaire, sur une situation stratégique d’un lamentable aspect.
La perruque, le carrosse et les piqueurs du lord-maire de Londres comptaient certainement parmi les forces du Royaume-Uni. Mais sa politique avait l’âge de la perruque. Et il s’agissait moins des principes éternels de la politique, l’Angleterre s’entendant mal aux idées générales, que de recettes politiques périmées. Elle estimait que son système défiait le temps. Comme tous les organismes vieillis et qui s’ankylosent, elle ne pouvait plus concevoir rien de neuf. Il convenait que le monde entier se pliât à ses manies et ses insolences de vieille richarde, que chaque nation s’interdît toute initiative qui pût offusquer la lady, sacrifiât son propre talent, abdiquât son indépendance, rognât sur ses ressources, pour que les lords arrondissent toujours leurs fortunes, sans se départir une heure de leur golf et de la chasse aux grouses, pour que les jeunes esthètes d’Oxford jouassent aux incendiaires bolcheviks en changeant sept fois de costume par jour, et eussent tout loisir d’approfondir la poétique surréaliste de la masturbation solitaire ou à deux.
C’était assurément une condition enviable, mais devenue fort parasitaire, reposant beaucoup trop sur le consentement d’un milliard d’esclaves et trop peu sur les vertus, le travail et l’intelligence des « Goddons ». Les bases sacrées de l’empire anglais, étalon-or, monopoles, contrôles, étaient des artifices de moins en moins gagés par une force réelle.
L’Angleterre en restait à Pitt et se chauffait à ses feux de bûches sans daigner comprendre que le siècle des machines évoluait au galop, qu’autour d’elle maintes nations appauvries découvraient dans leur vie austère l’invention créatrice et y trempaient leur volonté. Elle se méprenait à la fois sur la valeur de ses alliés et sur celle de ses adversaires.
Elle se refusait à concéder la moindre parcelle de ses aises et prérogatives. C’eût été une politique d’un égocentrisme grandiose si elle eût pu la continuer sous des canons invincibles, des nuages d’avions, avec l’appui des plus illustres capitaines de terre et de mer. Mais jusqu’aux pires orages du conflit, après avoir subi les plus cuisants revers, elle a entendu épargner son orgueilleux sang et rejeter les servitudes, le coût de la mobilisation totale, bonne pour ses roturiers de vassaux. Après les Polonais, les Français, les Norvégiens, les Belges, les Grecs, les Serbes, elle a fait, comme Carthage, l’autre grande boutiquière, donner ses Libyens, ses Numides c’est-à-dire ses Canadiens, ses Anzacs, ses Gourkas, ses Malais, toutes les variétés de ses nègres. Mais elle n’a pas eu son Annibal et peut toujours l’attendre.
Elle gardait encore, malgré sa médiocrité de l’autre guerre, une espèce de réputation navale. Celle-ci est au fond de l’eau, avec les carcasses de tant de cuirassés, de
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