Les Décombres
est le plus décadent. D’autres le démontreront avec infiniment plus d’autorité qu’un fantassin-pionnier-tringlot de deuxième classe. Il m’est permis cependant de rappeler 1870, « la guerre des lions conduits par des ânes », comme ma grand-mère me l’apprenait quand j’avais dix ans. Si le poilu de 1914-18 est un héros impérissable, il y a fort à parier que devant la véritable histoire, ses généraux, sauf deux ou trois, le seront beaucoup moins, sanglants, butés, aussi pauvres en idées qu’en caractère, car le caractère, à leur échelon, se manifestait d’abord devant la République, et les dieux savent combien rares furent ceux d’entre eux qui osèrent lui résister. Je pense que la morale de cette longue boucherie n’a jamais mieux été tirée que par mon ami le colonel Alerme, lorsqu’il écrit : « La victoire de 1918 n’avait été, pour le Commandement, qu’une assez pauvre victoire d’effectifs. «
Après 1940, on peut tirer l’échelle. Nous avons fait nos preuves pour un joli bout de temps. Si nous pouvons briller à nouveau, ce sera dans d’autres sphères.
Nous ignorons tous ce qu’il adviendra de l’armée française, après l’intermède que nous vivons pour l’instant.
Je reste, pour ma part, un incurable militariste, ce qui scandalise et fait rire bien de mes amis. Je garde la conviction que pour autant que la France demeurera la France, les vertus militaires ne pourront y devenir un vain mot. Je suis fait ainsi, je n’y peux rien, et je ne suis pas le seul. Il pourra paraître des décrets et des circulaires, on n’ôtera pas de nos cœurs les cors des chasse-pattes, les ancres des marsouins, le croissant des tirailleurs, et les histoires du 61 e de campagne, qui serait encore sans les Juifs « l’artilleur de Metz », du 8 e , du 23 e , du 26 e de biffe, et du Cent-Cinquante, du Quinze-Deux, du Quinze-Trois. L’esprit de corps était admirable. Les chefs, du reste, n’en parlaient plus guère, quand ils ne le brimaient pas.
Pour regarder plus haut que ces sentiments ingénus, si nous échappons encore à notre nouveau suicide, l’Empire aura toujours besoin de ses broussards. Si modeste qu’il fût, le noyau militaire français devrait retrouver quelque consistance, fournir au moins des exemples de virilité.
J’ai décrit plus d’une fois au cours de ce livre cette gesticulation qui était pour tant d’officiers l’accomplissement du devoir. Le général Laure, afin de faire sonner très haut ses mérites, a dicté à M. Bidou, qui l’a transcrit dans sa Bataille de France, l’exploit suivant, qui le comble de fierté :
Après avoir chèvre-chouté suffisamment pour ne pas tirer un seul coup de canon qui fût utile, manœuvré avec assez de bonheur pour faire encercler intégralement son armée, la 8 e , le général Laure se trouva le 22 juin parfaitement coincé à son tour, aux environs de Gérardmer, dans la mairie de La Bresse.
« Une section allemande arrive à toute vitesse, sans perdre de monde, car les défenseurs de La Bresse ont épuisé leurs munitions. Le général Laure s’assied à sa table de travail, ses officiers autour de lui, et tous le revolver à la main, pour qu’il soit dit qu’ils ont combattu jusqu’à la fin ».
Cinq minutes plus tard, un allemand pénétrait dans la salle, et ces messieurs posaient leurs revolvers sur le bureau.
L’histoire ne dit pas toutefois s’ils étaient chargés. Une certaine expérience nous permet d’en douter, les officiers supérieurs connaissant mieux que quiconque les dangers qu’offre la manipulation des armes à feu. D’autre part, la recherche de huit ou dix chargeurs de 6 millimètres 35, vers la fin juin et dans l’armée du général Laure, devait être une entreprise absolument sans espoir.
Le général Laure, pour prix de cette mâle résistance a été augmenté en grade et en décorations, choisi comme chef suprême de la Légion des Combattants, c’est-à-dire du grand Parti de l’État Français.
Je prétends qu’une institution qui compte dans son passé Turenne, Lasalle ou Marceau, et qui ose arguer de telles pantomimes pour prouver à la face du monde qu’elle a sauvé l’honneur, je prétends que cette institution est devenue un fléau public. Je dis qu’un pays où l’on n’a pas encore fait de ce trait dix mille échos, où le général Laure peut encore parader en public sans recevoir aussitôt à la tête un tombereau des
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