Les Décombres
merveilleux peintres impressionnistes et même avec notre musique, Berlioz ou notre triomphante Carmen, notre œuvre la plus typiquement française et la plus réussie, qui est encore plus jouée peut-être outre-Rhin que chez nous.
On ne saurait dire que ces deux peuples ont vécu dos à dos ce qui aurait été d’ailleurs invraisemblable.
L’idée d’attribuer un rang inférieur en Occident au pays qui a donné Luther, Dürer, Cranach, Holbein, la plus grande école musicale du monde, Leibniz, Goethe et le sublime Nietzsche, le philosophe par excellence pour tant de Français de la meilleure race, l’écrivain allemand le plus clair pour nous, celui dont la langue, le style sont les plus proches des nôtres et chez qui cependant on découvre presque toutes les racines de l’Allemagne nouvelle, cette idée est digne d’un adjudant de dragons xénophobe, d’un vieux poète ranci de sous-préfecture. On objecte que ceci est l’Allemagne d’hier, que l’Allemagne d’aujourd’hui est figée par le militarisme, par l’hitlérisme, que la Prusse lui impose son talon de fer. Je répondrai que cela regarde l’Allemagne, que c’est à elle de résister à une pénétration slave qui sera peut-être pour son esprit, voire son sang, le grand danger de demain ; que l’Allemagne du Sud et de l’Ouest, la vieille Allemagne romaine, sœur jumelle en civilisation de la France et de l’Italie, ne me semble point en si mauvaise posture dans le Reich unifié pour tenir son rôle de directrice spirituelle ; que le Führer vient de ses montagnes, que Vienne et Munich ne me paraissent pas avoir abdiqué quoi que ce soit de leur vie propre ; qu’enfin il m’est arrivé souvent, en rencontrant les Allemands les plus familiarisés avec notre esprit, les plus proches de lui par l’agilité, affectionnant ce qu’il y a de plus purement français chez nous, Stendhal, Corot ou Maillol, d’apprendre qu’ils étaient Prussiens de père en fils. Du reste, par dessus ces propositions de rhéteurs, il est une réalité : sans l’Allemagne de fer, l’Allemagne militaire qui a su reforger ses vertus à temps, nous pouvions dire adieu à toutes nos « valeurs », à notre douillette, charmante, subtile et géniale civilisation d’Occident. Il me semble que l’on peut, pour un service de cette taille, pardonner au Führer, qui est bon mélomane, de ne pas être un grand connaisseur en peinture…
J’admire vraiment ces champions de l’esprit, ces poètes, ces arbitres de la beauté la plus raffinée, ces dilettantes qui commencent par poser, pour condition première d’un nouvel épanouissement des arts, quelques aimables années de massacres et d’incendies entre voisins. Il est, certes, grand dommage qu’on ne les eût point écoutés, qu’ils n’eussent pas pris une part un peu plus active à la reconfection du monde. Ils nous auraient fabriqué une délicieuse Allemagne hessoise, badoise, palatine, toute prête à voir refleurir le temps du rococo et des bals de cour. Un an plus tard, les Tartares, les moujiks, les Juifs et les communistes du crû eussent fracassé cette ravissante porcelaine, et la vieille faïence française du même coup. Nous serions crevés, mais dans les règles de la grande politique, ce qui seul importait sans doute.
Revenons à des propos plus sérieux. Tandis que les airs immortels de Wagner et de Bizet se riaient des frontières, des douanes et des lignes fortifiées, la France et l’Allemagne s’observaient par dessus un mur d’épais préjugés. Pour être juste, on doit dire que ce mur avait été bâti surtout en territoire français.
Reconsidérons la fameuse maison blanche dont Maurras a tellement parlé, détruite quatre fois par la fureur teutonique. Nous voyons qu’après une campagne d’un bellicisme acharné, conduite par les Girondins, et tandis que ces autres fous, les émigrés, s’efforçaient de nouer sur le Rhin une coalition antifrançaise, la France a déclaré la guerre « nécessaire » en 1792 à la Maison d’Autriche, déclenchant par ricochet les hostilités avec la Prusse, alliée de Vienne. L’Assemblée voulait cette guerre avec fureur pour ranimer sa Révolution. Les souverains germaniques avaient bouché leurs oreilles pendant des mois à ses provocations. Ils marchèrent contre nous avec des armées beaucoup plus anti-révolutionnaires qu’anti-françaises. Ils réalisaient les vœux de nombreux Français combattant dans leurs rangs. Si
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