Les Décombres
les Allemands occupèrent Paris en 1814 et 1815, nous avions fait durant vingt-trois ans de leur pays notre champ de bataille contre l’Europe entière. En 1870, si Bismarck souhaitait un conflit, le parti de Napoléon III le désirait plus ardemment encore, en acceptait les risques « d’un cœur léger ». La France déclara la guerre à la Prusse sans y être le moins du monde contrainte. Si les hommes des Tuileries avaient voulu la paix, ils n’auraient pas fait rebondir, après qu’il eût été pratiquement réglé, le prétexte de la candidature de Léopold de Hohenzollern au trône de Madrid. Notre pays eût pu sortir de cette guerre six semaines plus tard, en gardant l’Alsace-Lorraine, moins Strasbourg, sans la démence des premiers Républicains de la Troisième, dignes pères des nôtres, qui repoussèrent au mois de septembre la paix honorable que leur offrait Bismarck (ce dernier trait, bien que cité avec les références par Drumont, n’a pas souvent paru sous la plume de ses amis et admirateurs nationalistes). En 1940, nous avons déclaré la guerre à l’Allemagne hitlérienne, qui était prête à nous battre, mais qui avait multiplié les avances pour aboutir avec nous à une solution pacifique.
À chaque fois, nous voyons reparaître la même espèce d’énergumènes, Brissot, Vergniaud, Hérault de Séchelles, Émile Ollivier, Gambetta, Crémieux, Reynaud, Kerillis, Mandel, Maurras aujourd’hui. Car il y a, en 1942, un aujourd’hui pour cette fameuse lignée qu’atteint d’âge en âge le même délire de la persécution, mais où personne toutefois n’est mort ni ne mourra sur un champ de bataille.
Reste la guerre de 1914, premier temps de la gigantesque révolution du XX e siècle, embrasement international, conflit touffu de puissances financières, de trônes chancelants, où toutes les responsabilités furent enchevêtrées et partagées, les Russes et les Serbes ayant d’ailleurs allumé l’étincelle, la France n’ayant pas fait un geste pour la paix, s’étant précipitée d’enthousiasme dans la plus vaine et confuse tuerie de tous les temps.
Nous voyons encore que, de 1815 à 1870, la France et l’Allemagne ont vécu en assez honnête intelligence, que l’horreur de l’Allemand en soi n’émouvait à aucun degré nos arrières grands-pères, voire nos grands-pères, et que l’arbre de cette fameuse haine atavique est en somme de plantation assez récente.
Cette bouture, dont l’opportunité ne cessa d’être contestée, a surtout gagné en vigueur de 1871 à 1914. Je ne vais pas revenir sur le détail de ces vieilles controverses, dont les Barrès et les Jaurès sont pleins, sans que cela ajoute un iota à leur réputation, puisqu’en définitive ils n’ont abouti ni l’un ni l’autre. La revanche fut quarante-trois ans durant une industrie matérielle et morale. Tous les partis nationalistes français, tour à tour, se harnachaient de cette panoplie, en revêtaient leurs abbés, leurs officiers, leurs poètes pompiers, leurs châtelains, leurs bourgeois, leurs banquiers et leurs métallurgistes. Nous reconnaissons là une brillante phalange. Pendant ces quarante-trois années, déjà fidèle à son destin, elle ne sut arrêter ni l’enjuivement de la France ni la marée de la démagogie, elle ne sut imposer ni son prétendant-monarque ni son prétendant-dictateur, ni même ses prétendants à l’Élysée. Elle perdit tous ses procès, braqua contre elle toute la plèbe, fit berner ses militaires, chasser ses curés, et n’arriva même pas à faire préparer sa guerre convenablement. Elle ne pouvait réussir parce qu’elle n’avait d’autre fin que la guerre, d’autre pensée, d’autre invention que pour la guerre, et que les hommes, quels qu’ils soient, ont d’autres espoirs, d’autres instincts que d’aller chroniquement engraisser de leurs cadavres des champs de betteraves ou de houblons.
Pendant ce temps, la République, cahotée de scandale en scandale, sentant toujours la crotte des bas-lieux où elle était née, donnait malgré tout à la France plusieurs décades qui figurent à nos yeux un âge d’or, la fécondité et la joie de vivre, elle lui laissait se tailler par delà les mers un empire qui compensait haut la main les environs de Forbach et de Reichshoffen. Aussi vile et puante qu’elle fût, la République demeura, du moins pour un temps, plus humaine. Comme il se devait, la phalange des pourfendeurs d’Alboches
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