Les Décombres
lieu de les employer à renverser chez eux un régime qui n’était plus qu’un cadavre debout. On ne savait même tirer partie de l’Alsace, seul bénéfice qui nous fût revenu. Ces pauvres et chers grognards d’Alsaciens, que je puis me flatter d’avoir assez bien compris, qui avaient été les plus fidèles des citoyens dans une France cohérente, scandalisaient un chacun dans notre pays désagrégé, paraissant dangereusement antirépublicains aux démocrates, épouvantablement tudesquifiés aux nationaux.
La solution eût existé, magnifique, quand la révolution hitlérienne d’Allemagne fut achevée, si la France avait été encore capable de faire sa révolution nationale à son tour, si elle avait su comprendre que sous la même latitude, porte à porte, les mêmes nécessités s’imposaient à elle qu’à l’Allemagne : éviction des Juifs, équilibre du capitalisme et du travail, affranchissement du joug anglais, destruction du marxisme. Dans l’identité de deux politiques intérieures aussi urgentes pour une nation que pour l’autre, l’Allemagne et la France eussent vite trouvé le secret de leur concorde.
Appuyées l’une sur l’autre, aidées de l’Italie, puis de l’Espagne, à qui la guerre civile eût coûté moitié moins de sang, ces deux colonnes de l’ordre nouveau étaient inébranlables. La France et l’Allemagne couplées réalisaient en quelque temps l’unification idéologique de l’Europe, précédant l’unification des intérêts. Leur force eût été telle qu’elles y fussent parvenues probablement sans tirer un seul coup de canon.
Nous étions quelques-uns qui l’avions entrevu. Mais nous n’osions en parler qu’à voix basse. Nous étions trop faibles et il était trop tard. Plus courageux, nous eussions perdu la vie sans résultat.
Nous pouvons bien rejouer comme je suis en train de le faire, les cartes du passé, et beaucoup en hausseront les épaules. Cette distraction amère n’est cependant point tellement inutile. Elle nous aide à préciser les responsabilités et les erreurs de la France. Le politique, comme le peintre, peut se corriger en revoyant avec du recul son tableau, à la condition que le tableau existe encore, ou que son auteur ne soit pas devenu cacochyme.
Ce recul nous est infiniment précieux. Car, bien qu’il soit terriblement tard, nous pouvons encore faire aujourd’hui ce que nous avons manqué hier. L’Europe a plus que jamais besoin de nous. Elle nous attend.
Les Allemands l’ont répété à tous les Français qu’ils rencontrent, c’est la conclusion naturelle de tout ce qui se déroule, l’Allemagne nous l’a fait dire officieusement à maintes reprises : elle compte sur nous pour établir sa paix. Elle se verra à la tête d’une tâche gigantesque, et si elle échouait, tous ses sacrifices seraient perdus, nous retomberions tous dans le pire chaos. Il n’est pas tant de grandes nations en Europe pour devenir les associées de l’Allemagne. Nous demeurons riches, laborieux, possesseurs d’un empire dont nous avons l’expérience. Avec notre vieille unité, nos terres bien dessinées, si admirablement placées à la pointe du vieux monde, il suffirait, pour réparer notre défaite, d’apporter un consentement vraiment loyal.
À ce mot d’association, on voit déjà de braves gens se récrier. « Gallia fara da se {25} », ou alors ils ne veulent rien savoir. C’est très beau. Mais pour cette politique, nous serons priés de repasser, à une date malheureusement indéterminée.
D’autres redoutent que cette association ne nous enchaîne et ne nous limite. On leur a suffisamment répété que cette association serait indépendante et fructueuse dans la mesure où nous le voudrions nous-mêmes. Il faudrait aussi ne pas trop oublier de quel servage nous sortons. Le contrôle anglais nous paralysait de tous côtés, avec une insurpassable rigueur. Souvenons-nous de nos colonies en friches, de notre industrie, notre navigation constamment étouffées, de l’Angleterre empochant nos dividendes, distribuant ses ordres, surveillant nos plantations, brûlant nos brevets, assassinant nos explorateurs. La France n’était pas plus « seule », au sens maurrassien et glorieux du mot, en 1922, qu’elle ne peut l’être en 1942.
L’Allemagne n’est pas une petite sainte qui coupera les tartines aux nations comme Charlotte aux enfants. Mais elle a le sens du grand, si complètement atrophié chez nous, le
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