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Les Décombres

Les Décombres

Titel: Les Décombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Lucien Rebatet
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l’Occident qu’une suite d’effrayants cauchemars. J’ai désiré passionnément depuis deux ans que la France réparât sa fatale erreur, reconnût dans quel camp sont ses vrais ennemis, se déclarât d’elle-même, franchement, contre eux. Français, je ne redoute la victoire de l’Allemagne que pour autant que mon pays ne sait pas la prévoir, en comprendre l’utilité, y coopérer librement.
    Je ne suis pas pour cela germanisant ou germanophile, à la façon où peuvent l’entendre nos anglicisants et nos anglomanes, en jugeant d’après eux-mêmes. Je m’ennuie vite en Allemagne. L’esprit germanique prend souvent des tours qui me sont étrangers, et j’en ai écrit à diverses reprises sans ménagement. Je lis beaucoup plus volontiers la littérature anglaise que l’allemande, qui comparativement est restée assez pauvre. Des quantités de Français sont dans mon cas. Je connais les défauts des Allemands, qui tiennent surtout à un esprit de système, procédant par compartimentages très rigide, et qui ne leur permet pas aisément de passer d’une case à l’autre. Beaucoup d’Allemands apparaissent un peu à des Français comme les provinciaux de l’Europe, tels des Lyonnais à des Parisiens. Je vivrais avec délices un an à Rome. J’appréhenderais de passer trois mois même à Vienne, qui est une ville charmante. Il existe une certaine uniformité allemande qui m’attriste rapidement.
    Alors que les Français, lorsqu’ils s’engouent d’un pays étranger, prônent à tout venant ses méthodes, je nourris d’instinctives préventions devant ce qui porte une estampille spécifiquement germanique. Pour autant que l’on peut dégager dans le caractère d’un peuple ses traits permanents et généraux, ceux que l’on voit chez les Allemands me trouvent plutôt sur la défensive. Je n’admire pas l’Allemagne d’être l’Allemagne, mais d’avoir permis Hitler. Je la loue d’avoir su, mieux qu’aucune autre nation, se donner l’ordre politique dans lequel j’ai reconnu tous mes désirs. Je crois que Hitler a conçu pour notre continent un magnifique avenir, et je voudrais passionnément qu’il se réalisât.
    Mais la question qui nous préoccupe n’est point là. Il s’agit de savoir s’il existe vraiment une impossibilité de nature à une entente de l’Allemagne et de la France. Je n’en crois rien.
    Ces deux pays ne sont pas plus différents l’un de l’autre que la plupart des nations européennes ne le sont entre elles. L’Allemagne est en tout cas bien moins distante de nous que ne l’était l’Angleterre. Elle ne bénéficia pas du snobisme anglais, apporté chez nous par les gens du monde et des affaires, qui découvraient avec enthousiasme dans la vie anglaise des règles d’étiquette, des modèles d’élégance rogue, des loisirs convenant à merveille à leur suffisance et leur vacuité ; bref des mœurs qui formaient elles aussi un aspect de la civilisation, mais restaient à l’état de vernis assez superficiel, comme tout ce qui nous est venu depuis un siècle et demi des classes frivoles qui possédaient l’argent, le nom, les manières, et ne purent jamais acquérir les qualités d’une élite.
    Mais les échanges entre la France et l’Allemagne durant ces cent cinquante années ont été plus profonds et plus vastes. L’admirable littérature de langue anglaise a tenu chez nous une grande place. Mais elle ne fut pas plus considérable que celle de la poésie allemande pendant notre romantisme, que le rôle joué par la philosophie allemande sur tant de nos esprits. On ne saurait comparer son influence, le nombre de ses lecteurs à l’immense et continuelle popularité de la musique allemande dans notre pays, depuis les plus purs classiques jusqu’à Richard Strauss. Après l’Allemagne, il n’est pas de nation qui, plus que la France, entoure d’un culte toujours aussi vif et intelligent Bach, Mozart, Beethoven et Wagner. Or, la philosophie et la musique sont les expressions les plus complètes et les plus complexes de l’âme allemande. Qui donc pourrait dire que cette âme nous échappe, hormis le sourd Maurras, qui n’a jamais ouï une note des Maîtres Chanteurs et de Tristan ?
    Nous avons pénétré en Allemagne profondément avec nos romanciers, Balzac au premier rang, nos historiens, nos critiques, notre théâtre, nos livres les plus hardis – dans aucun pays étranger Gide ou Giraudoux n’ont été plus lus – nos

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