Les Décombres
dernières guerres.
Je sais que ce n’est point aisé. Il faudrait que je fusse une linotte, après quinze ans d ’Action Française, pour ne point m’interroger moi-même, souvent avec inquiétude, sur les volontés, les sentiments de l’Allemagne à notre endroit. Je suis, comme tant de Français, sceptique de nature. J’ai beaucoup cultivé ce penchant. Je redoute par dessus tout d’être dupe d’autrui ou de moi. Or, depuis deux ans, me voilà devenu l’apôtre d’une réconciliation, d’une pacification dont il arrive que par la seule pensée on embrasse avec peine l’ampleur.
J’en vois aussi bien que personne, on peut en être sûr, toutes les difficultés. Je me demande parfois si, nous qui avons démoli tant de faux dogmes, nous ne sommes pas devenus à notre tour le jouet du vieux mirage sur la renaissance du monde.
Mais nous devons chasser ces doutes. Je suis convaincu que rien de grand ne peut être entrepris, rien de difficile être atteint si l’on ne combat soi-même son propre scepticisme. Celui qui refuse son intelligence à l’espoir d’un renouveau manque au fond de hardiesse et de virilité. Il s’interdit par là tout jugement sur la politique que peuvent faire les autres. Il ne lui reste plus qu’à retourner à ses songes intérieurs.
Un peu de crédulité est nécessaire pour que nous réalisions la moitié de ce que nous rêvons. Il ne s’agit point cependant de se livrer à des escalades ineptes, d’imiter ces chevaliers de la foi béate dont j’ai souvent parlé. Il n’est point question de balivernes idéales, de décider le grand partage, d’éteindre la race des banquiers, des patrons, des malins, d’effacer les frontières, mais d’atteindre à une condition meilleure. Les hommes d’argent en ricanent. Mais c’est Hitler qui fera la paix. À chacun de ses discours, on voit s’élargir et s’affirmer l’espoir de cette paix durable, c’est-à-dire juste, enfin à l’échelle du monde. Parmi les grands hommes de guerre, bien peu y sont parvenus. Un vainqueur tel que Hitler ne pourrait plus rêver d’autre gloire. Elle passerait toutes les autres, et ce vaste génie le sait.
C’est aujourd’hui ou jamais que le monde, épuisé par ses spasmes et ses saignées, doit être capable de rentrer dans une ère d’ordre. Ce n’est point une utopie, mais l’instinct le plus naturel, que d’aspirer à l’ordre après vingt-huit années où l’on a vécu deux guerres universelles, tant de révolutions et de folies. Il appartient à nous, les hommes faits de 1942, d’établir cet ordre assez solidement pour qu’il s’impose toujours lorsque les enfants nés cette nuit régenteront à notre place ce monde et auront oublié notre épouvantable expérience.
Je crois en la France. Je ne crois pas en une France belliqueuse. Elle me fait horreur. Ce sont ses espérances qui me paraissent chimériques. Mais je suis persuadé qu’une paix européenne ne peut se construire sans mon pays, qu’il peut y regagner cette place que les armes depuis si longtemps lui refusent. Je ne voudrais surtout pas que l’on considérât une telle politique comme le pis-aller auquel se résigne une nation vaincue. Je voudrais que la France eût sa voix au chapitre, en qualité de grande nation occidentale, au passé immense, de grande nation colonisatrice, de terre admirablement féconde, de peuple dont les vertus sont en friche, mais réelles. Mon pays peut jouer un rôle magnifique, pour lequel je ne lui vois point de remplaçant auprès de l’Allemagne, à la condition de demeurer une nation souveraine, d’être libre, d’affirmer et de prouver sa volonté pacifique.
Une autre condition, et qui ne dépend point de nous, c’est que l’Empire anglais soit écrasé. Il est certain que, pour nous Français, dans les mois qui viennent, la chute de cet Empire est notre chance. L’énorme trou que fera en s’effondrant un pareil monument nous obligera presque de force à retrouver notre place. C’est la stupidité majeure, le crime contre la patrie des gaullistes que de ne le point sentir. La paix européenne sera d’autant plus sûre et stable que la défaite de l’Angleterre sera plus complète. Même si elle ne l’était point, du reste, et je dirai encore à plus forte raison, nous devrons nous décider à une alliance franco-allemande qui formera enfin sur notre continent un contrepoids sans rival, qui sera le résultat le plus heureux de la guerre absurde.
Le
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