Les Décombres
qu’en juin 1940. Elle doit d’abord ce surcroît de disgrâce aux hommes qui durant vingt mois ont accaparé son gouvernement. Ils porteront sans doute devant l’Histoire le nom de Vichyssois. J’ai décrit plus haut leurs débuts. Avec l’entrée dans la guerre de la Russie, de l’Amérique, du Japon, leur dérision n’a cessé de s’enfler à la taille du drame universel.
Le 5 juin 1940, lorsque je torturais dans une cour de ferme ma conscience d’honnête Français, en entendant gronder le canon de l’offensive, je ne soupçonnais pas la moitié du drame qui se jouait là. Si l’armée française avait tenu trois mois sur ses lignes, comme Weygand l’en conjurait, le bolchevisme et la juiverie américaine entraient dans la danse. Ils eussent attendu pour se précipiter que les deux adversaires fussent exsangues. La gigantesque masse russe, tombant dans le dos de l’Allemagne, l’eût broyée. La ploutocratie avait sa victoire sur le national-socialisme. Mais le bolchevisme la tenait aussi. Et c’était celle-là seule qui comptait. Tandis que les vieux féodaux de l’argent auraient tendu leurs nuques au couperet affilé par leurs propres mains, selon une tradition qui est réellement bien française, Maurras, Mauriac et M. Pacelli auraient toujours pu entretenir Staline de la civilisation chrétienne…
Un soir de cet hiver, par deux pieds de neige, à Montmartre, je parlais de ces choses sous la lampe de Céline, et ce visionnaire admirable élargissait encore le tableau. Les divisions des nègres américains et les divisions kalmouks se répandaient sur l’Europe. Entre leurs hordes, le pullulement des Juifs. C’étaient des millions de métis bientôt, le rêve des Juifs, tout l’Occident semblable aux Juifs, la race blanche frappée de mort. Oui, une race entière peut tenir ainsi à quelques fils du destin, quand elle a multiplié diaboliquement les péchés contre elle-même. L’Allemand n’a pas seulement sauvé la civilisation d’Europe. Il a peut-être sauvé aussi l’homme blanc.
Telle est la guerre que les Vichyssois ne sont pas arrivés à renier, qu’ils ont entérinée à chacun de leurs actes.
Durant près de deux années si précieuses, où il y avait tant à faire, toute notre activité politique s’est dépensée dans un exaspérant colloque entre quelques poignées de Français à l’esprit intact et ces sinistres imbéciles.
On s’est épuisé à leur redire que les Juifs et les Anglais avaient allumé la torche, embrasé l’Europe parce qu’ils aimaient beaucoup mieux voir la Russie, la sixième partie du monde, avec ses cent soixante millions d’habitants, ses richesses incalculables, livrée à des bourreaux sauvages, perdue pour l’univers, constituant pour cet univers une menace mortelle, que l’Allemagne et avec elle l’Europe y rapportant la civilisation, restituant à notre continent les greniers de l’Ukraine et les charbons du Donetz. On les a conjurés de répudier enfin ce camp, de châtier les monstres qui y avaient entraîné notre pays, de faire savoir au monde que la France qui déclara la guerre à la santé et à l’ordre n’appartenait plus qu’au passé.
Pouah ! Ces messieurs n’ont pas daigné ouïr de telles fables, ces contes grossiers dont les traîtres parisiens se font les colporteurs. Sans doute on a, autour d’eux, furtivement, parlé quelque peu des Anglais bellicistes, surtout depuis que l’Angleterre bat de l’aile. On était contraint d’accorder cette satisfaction minime à ces butors d’Allemands. On en a chargé d’ailleurs quelques individus qui sentaient le fagot, tout juste bons pour cette vilaine besogne, et à qui on ne manquerait pas de la faire payer un jour. Mais chacun savait bien de quel côté penchait le cœur de Vichy. De la France, en tout cas, pas un mot, ah ! surtout pas un mot. La France n’a jamais eu de bellicistes. C’était une blanche colombe. Elle a suivi la voie que lui traçaient l’honneur et le droit, fidèle à ses engagements. La France a fait cette guerre parce que la barbarie hitlérienne la lui avait imposée. Personne ne l’a oublié. C’est le Président Daladier lui-même qui l’a dit.
— Mais cet Édouard Daladier…
— Sans doute, sans doute, on a été obligé de l’enfermer quelque peu et de lui préparer un petit procès. Il fallait cela pour calmer l’opinion. Les gens sont si bêtes. Du reste, tout à fait en confidence, ce Daladier, ce n’est pas
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