Les Décombres
vieux Bismarck, que j’admire depuis longtemps, écrivait déjà en 1887 :
« Nous n’avons réellement nul besoin d’attaquer la France, mais si, attaqués par elle, la victoire nous appartenait, M. de Giers fait erreur en supposant que nous n’avons pas autant d’intérêt que la Russie à maintenir la France dans son état de grande puissance. Dussions-nous être attaqués par la France et la battre, nous ne croirions pourtant pas qu’il fût possible d’anéantir une nation européenne de quarante millions d’âmes, possédant les dons qu’ont les Français et auxquels vient s’allier chez eux la conscience de leur valeur… Mais si elle conservait sa force, ou la retrouvait après un court répit, et que son voisinage continuât à nous inquiéter, nous conseillerions – au cas où une prochaine guerre nous laisserait victorieux – de ménager cette nation comme nous avons ménagé l’Autriche en 1866 {26} . «
Bismarck était un politique, dominant ses humeurs, tel que nous n’en avons plus chez nous depuis Talleyrand. Hitler en est un autre, d’une envergure bien plus considérable. Hitler sait – ce qu’entrevoyait déjà Bismarck – que la paix solitaire, orgueilleuse et égoïste n’est plus à l’échelle de notre monde.
La paix allemande peut avoir aussi ses faiblesses, et bien des Allemands ne l’ignorent pas.
Mais cette idée ne doit point nous servir à comploter une équipée militaire que nous sommes incapables, pour un temps indéterminé, de réussir par nos propres forces. Cette idée au contraire doit nous aider à comprendre que nous sommes loin de traiter, comme certains se le figurent, avec le talon sur la nuque.
Les rapports affectifs entre peuples ne comptent guère. Ils sont le plus souvent ce que les propagandes les font. Rien de plus artificiel que ces mouvements de haine ou d’amitié dont on a souvent déduit politique et philosophie. Que peuvent bien détester chez les Allemands, dont ils ignorent tout et ne veulent rien apprendre, les Français de 1942, sinon les idées enfantines qu’ils s’en font ? Les peuples, dans leur ensemble, communiquent bien peu les uns les autres.
Cependant, les préjugés sentimentaux et intellectuels ont séparé l’Allemagne et la France bien plus que les affaires d’intérêt. Ce sont donc ces préjugés qu’il importe avant tout de combattre. L’esprit nationaliste chez nous, fasciné depuis soixante-dix ans par l’Allemagne, en a oublié tous les maux que nous devons à l’Angleterre. Ainsi s’aperçoit-on que bien des problèmes que l’on jugeait insolubles ne tenaient qu’à des questions d’optique.
L’antigermanisme a été chez nous non point un fruit de l’esprit national mais le système politique choisi par une troupe de théoriciens, de militaires, d’hommes d’affaires, de ministres, et auquel on a très abusivement ramené tout le reste. Un véritable révolutionnaire pouvait bien concevoir les plus justes thèses sociales : il n’en était pas moins rejeté impitoyablement parmi les marxistes et les jauréssiens les plus fameux s’il souhaitait aussi s’accorder avec l’Allemagne. Personne pendant trois quarts de siècle, n’a eu le droit de se dire patriote en cherchant les intérêts de notre pays dans une entente franco-allemande. Et tandis que les plus courageux et les plus honnêtes des Français se disputaient ainsi stérilement, le problème capital, le seul problème, celui du régime, demeurait entier, l’affreuse démocratie s’incrustait toujours davantage. Ce système antigermaniste nous a fait gâcher une victoire et perdre deux guerres. Cela suffit me semble-t-il, pour qu’on le condamne sans remords.
Que la clairvoyance allemande, la volonté française de liquider une interminable querelle puissent enfin s’allier, et ce sera un des grands événements dans l’histoire de cette planète. De telles perspectives, une telle rentrée pour nous parmi les grandes nations méritent mieux qu’un consentement fatigué, qu’une raisonnable tiédeur. Elles sont faites pour inspirer aux Français, capables enfin de songer à leur pays, l’enthousiasme qu’on leur enviait jadis.
UNE PARODIE D’ÉTAT
Il nous faut redescendre de ces sommets et considérer notre pays. Il a bien piètre figure pour le rôle que nous voudrions lui destiner. Ceux qui n’ont point désespéré du salut de la France doivent aller la chercher aujourd’hui beaucoup plus bas encore
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