Les Décombres
souvent mêlés de ce qui ne les regardait pas. Leurs opinions sur le patronat ne sont vraiment pas aimables. Les Allemands, bien entendu, ce ne sont pas des choses à dire dans les journaux, se tiennent très sagement dans la zone occupée, ils payent ce qu’il leur faut, et on fait même avec eux d’assez gentilles affaires, en attendant de les jeter au Rhin. Il n’est pas prouvé que les Soviets seraient aussi accommodants. Et si les Allemands flanchaient, les Soviets seraient vite là, et les prolétaires communistes prépareraient leur entrée. Mais il s’agit bien de cela ! Les Allemands seront écrasés. Mais au bout du compte, les Russes ne vaudront guère mieux qu’eux, et sans doute aussi les chers malheureux Anglais. La France relevant fièrement la tête, derrière ses militaires au prestige immaculé, et magistralement appuyée par l’Amérique, arrêtera Staline d’un bras, tandis que de l’autre elle achèvera le Teuton. «
L’Allemand, sacripant numéro un, serait donc trucidé par le Russe, sacripant numéro deux. Mais en expirant, il aurait encore la vigueur de lui porter un fatal coup de rapière. Ainsi aux plus beaux temps de Mélingue, débarrassait-on la scène des traîtres, pour assurer le triomphe de la vertu captive.
C’est sur de pareilles turlupinades que des personnages qui prétendaient composer un gouvernement ont engagé pendant vingt mois le sort de leur pays.
Vichy aura été la coalition de tous les pouvoirs occultes, la collection des susceptibilités blessées, des vanités morfondues, des intérêts inquiets, des sinécures à sauver, des mystiques vagabondes, des morales paralytiques, des hargnes, des lubies, des ignorances, des croyances percées, des formules rouillées, tout ce qui a été battu et dupé, tout ce qui a failli, trahi, volé, profité, menti.
C’étaient, ce sont toujours dans tant de recoins et d’offices, comme l’a bien vu mon ami Brasillach, de révoltants idiots qui sont parvenus à créer au cœur de la France, sur l’Allier et sur le Rhône, une émigration avec ses mirages, ses rancunes, ses chamailleries de ratée et de revenants, son hypocondrie fielleuse et ses fantômes de partis. Ce sont les débris de dix cliques, vingt confréries, le clergé, le radicalisme, l’armée, le Comité des Forges, Polytechnique, l’inspection des Finances, les bandes de Mandel, de Daladier, de Sarraut, d’Herriot, de Flandin, de Peyrouton, qui se battent autour des lambeaux de leurs prérogatives, se tendent l’une à l’autre des pièges, s’interdisent toute décision, détruisent aussitôt ce que l’une d’elles aurait pu, par un extraordinaire hasard, tenter d’heureux. Ce sont à la fois le sabre, le goupillon, le chandelier à sept branches, le tablier en peau de cochon, la faucille, le marteau et le veau d’or, tous les emblèmes d’un monde révolu, jetés pêle-mêle sur le dernier radeau du grand naufrage.
Tout cela colle à la démocratie comme le poulpe à l’Épave. C’est le ciment qui donne à cet agglomérat de détritus sa cohésion. C’est le cordon ombilical qui relie ce triste monstre ridé et difforme à sa vieille putain de mère, et qu’on se garde bien de trancher.
Parmi ces émigrés, il en fut qui avaient combattu la démocratie violemment. Ils ont fait leur choix maintenant. Car c’est maintenant que les deux camps sont définitivement tranchés. La neutralité ne peut être qu’une figure de rhétorique. Qui n’a pas pris résolument toutes ses positions pour une victoire des pays fascistes, est pour celle des démocraties, attend le salut de la France par un triomphe des Juifs et des démocrates américains, puisque les Russes ne sont pas à craindre pour ces messieurs. Ou alors, il faut la perversion mentale, l’humeur détraquée d’un Maurras ou d’un certain nombre de ses disciples gouvernementaux pour prétendre qu’une France antidémocratique surgirait après l’effondrement des dictateurs, dans l’apothéose d’Israël et de toutes les Républiques, les Soviets, bien entendu, étant plus que jamais hors de question. Mais ne restons pas davantage à nous interroger sur ces aliénés. Nous en perdrions nous-mêmes la boussole. Qu’ils se l’avouent ou qu’ils ne se l’avouent pas, cela ne change rien à la réalité. Maurras, champion d’une armée pourrie par la démocratie, louant un gouvernement qui a identifié la France avec le régime de sa défaite, mettant à l’index ses
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