Les Décombres
collaborateurs fascistes, Maurras est un Jacobin honteux {27} .
À la dégénérescence de la démocratie encanaillée, nous avons vu succéder à Vichy la dégénérescence de la démocratie bourgeoise. L’une vaut l’autre, leurs frontières sont fort vagues. Ces hommes des deux cliques se croisent chaque jour devant l’hôtel du Parc. La bourgeoisie a tout simplement amené de nouveaux tyranneaux, de nouveaux profiteurs, dans le même désordre et la même impuissance qu’auparavant. Autant de phénomènes typiques de la démocratie.
Ces bourgeois, fidèles à leur nature, sécrètent la guerre comme l’escargot sa bave. Pas d’autre remède, pas d’autre pensée, pas d’autre horizon pour eux. Le monde entier est en feu. Dans cet universel hourvari, le cas de la France, l’une des premières retirées de la lutte, redevient justement épisodique, sa guerre de cinq semaines une espèce de sorte d’escarmouche ; la France a tout le temps et tous les moyens de clore cet épisode sans désavantages pour elle. Mais les bourgeois vichyssois restent hypnotisés par ce point : l’antagonisme franco-allemand. Chinois, Malais, Hindous, Canadiens, Russes. Turcs, Australiens, Brésiliens, Japonais, la terre entière tourne autour de ce nombril : « Silence dans les rangs. L’Allemand est l’ennemi réglementaire. » On ne saurait arrêter avant la victoire les formes du futur État, la fameuse Constitution : constitution d’on ne sait pas trop quoi, quelque chose comme une République sans le nom, se situant entre l’Ordre Moral de 1873 et Méline, entre le zist et le zest de tout, avec de la mesure bien française, l’absolution de tous les pécheurs, la réintégration de tous les Juifs, et des tambours de service pour battre aux champs pendant l’Élévation. « Non, une République de plus en plus républicaine », proteste l’autre clan.
En attendant que revienne cet heureux temps et que l’on soit enfin libre de développer ces débats au grand jour, il a fallu que Vichy vécût.
Il a essayé d’y pourvoir avec un torve jésuitisme à la petite semaine, une mixture de papelardise et de restrictions mentales dont ses innombrables confesseurs lui ont aisément fourni la recette. Il s’est appliqué ainsi à tromper à la fois l’Allemagne et le peuple français,
La ruse avec l’étranger peut devenir un devoir patriotique. Ce n’est en rien notre avantage avec l’Allemagne d’aujourd’hui. Elle a conçu un colossal projet de pacification européenne, qu’elle a toutes les chances de réaliser demain. Lui être hostile ne peut que desservir cruellement notre pays, réduire demain la place à laquelle il pouvait prétendre.
D’autre part, les malices vichyssoises ont été cousues de ficelles qui feraient honte au dernier vaudevilliste de cinéma. À chaque simulacre de négociation a succédé aussitôt une contre offensive des super-cocardiers, qui ont rapidement imposé leurs vues et leurs hommes et annulé les quelques points acquis. Tandis que l’on affectait la grimace d’une collaboration dont on prenait bien garde qu’elle n’eût pas le moindre effet, en poursuivait des entretiens actifs, au grand jour, avec les ennemis déclarés de l’Axe. On jouait la neutralité, mais on autorisait l’anglolâtrie la moins déguisée dans la presse et dans tous les services officiels. Pour chaque fonction importante, l’esprit de revanche a fait prime. Tandis que l’on accordait du bout des lèvres un satisfecit de civilisés aux soldats allemands du front russe, des centaines d’officiers travaillaient pour l’espionnage anglais, lui signalaient les mouvements de troupes, cherchaient à faire torpiller les bateaux allemands, le tout avec l’habileté et la discrétion qui les caractérisent. Tout a été mis en œuvre pour entretenir l’opinion dans une humeur chagrine, hostile à tout règlement pacifique de notre condition, favorable à toutes les billevesées de « la France suprême arbitre » et à l’américanomanie, dernière mode depuis que l’Angleterre a pris mauvaise mine ; pour tout dissimuler à cette opinion des espoirs qui pourraient s’ouvrir à la France si elle savait virer de bord, des véritables intentions de l’ancien adversaire, de son vrai régime et des gigantesques chances qu’ont ses armes.
C’est ainsi que Vichy s’est flatté de tenir jusqu’au jour où ses gracieux alliés d’outre-mer triompheront et daigneront rétablir dans
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