Les Décombres
chaque jour.
Je relisais ces jours-ci les consignes de je ne sais plus quel officiel de là-bas à la jeunesse : « Que votre Révolution soit d’abord intérieure ». Belle tartufferie pour empêcher que s’esquissât une révolution quelconque, pour tout laisser en place d’une société et d’un personnel vermoulus jusqu’à ce que la victoire du Droit couronne nos drapeaux.
Quelles punaises de tabernacles !
À des Juifs venus gémir dans de très hauts lieux vichyssois sur un faux-semblant de décret ou sur le dernier rescrit, fort réel celui-là, des autorités allemandes, on répondait il n’y a point si longtemps, avec un soupir apitoyé et un sourire de confiance : « faites comme nous, tenez et attendez ».
« Tenir comme à Verdun », osent dire certains de ces salopiauds. Mais à Verdun, on tenait et on tombait sous les obus, à Vichy, on n’a jamais pensé qu’à tenir calé dans son fauteuil, en attendant que le dernier Fritz soit mort pour la défense d’une cause universelle.
Vichy a réduit presse, radios, discours, livres à une hagiographie gouvernementale d’une impudeur sans exemple – c’était vraiment la peine de se moquer de la publicité des dictatures ! – Vichy a tout saboté ou manqué, son statut de la Jeunesse, son statut de la Famille, sa Charte du Travail -abracadabrante machinerie ne pouvant servir qu’à exploiter plus férocement encore le salarié – sa réforme administrative, son Parti enfin. Mais Vichy a réussi une opération, la seule vraisemblablement qui lui tenait à cœur : faire de la France méridionale les goguenots de l’Europe. Tous les excréments rejetés par les organismes sains y ont trouvé leur refuge, maçons, espions, escrocs, vendus, déchets parlementaires, fuyards de cinq ou six déroutes, juifs et encore des juifs, choyés par tous les autres.
C’est un bel usage de la souveraineté que nous a laissé le vainqueur, un beau spectacle étalé devant l’ancien adversaire qui croyait encore à la « France réelle », qui lui tendait la main. Mais il faudrait être d’entendement bien court pour s’imaginer que l’Europe nettoyée souffrira sur sa fenêtre océane ce pot d’ordures.
Le Vichy de Dumoulin de la Barthète est arrivé à dépasser encore en vilenie et en stupidité le Front Populaire de Léon Blum lui-même. Car ce Vichy a hérité de toutes les tares existantes pour les aggraver encore. Alors que Laval avait liquidé le Parlement, il en a refabriqué un simulacre, qui n’a même plus les basses commodités de l’ancien, qui ne peut servir à rien, mais sauvegarde le principe, prolonge les plus détestables mœurs des Assemblées avec ses commissions et ses parlotes dans le vent. Vichy a décuplé la bureaucratie, déchaîné la fiscalité qui ouvre de nouvelles veines au pays quand il lui faudrait d’énormes transfusions de sang frais. Ses mots creux, Spiritualité, Travail, Famille, ont été encore plus vides que ceux d’hier, et passés à un badigeon odieux d’hypocrisie. Vichy a consommé en deux ans plus de ministres que la République en cinq années. La gueuse parlementaire maintenait encore par ses bureaux une espèce de continuité du pouvoir, une apparence d’ordre, se faisait vaguement respecter. Vichy a multiplié les gendarmes pour aboutir à l’anarchie pure. Blum était moins effronté pour transformer ses faillites en victoires, ses bourdes en coups de génie. L’étatisme de Vichy s’est révélé encore plus écrasant que celui des marxistes, il s’est acoquiné avec un hyper-patronat, une dictature de l’argent, et cette effroyable union détermine une injustice sociale propre à ramener bientôt l’époque bénie où des fillettes de quinze ans travaillaient quatorze heures par jour pour vingt-cinq sous.
Notre pays, abandonné au marxisme et à la maçonnerie, avait presque entièrement oublié depuis des années ce phénomène de la déliquescence bourgeoise que l’on a nommé, d’un mot qui pourrait être beau, la réaction. La France vichyssoise lui en a donné le spectacle le plus archaïque et le plus bêtifiant, avec romanciers régionalistes, félibres, tutu-pampans, bonshommes crayonnés par les petits enfants pour Grand-Papa gâteau, boy-scouts, curés-clairons et primauté du spirituel. Quand elle n’a pas eu par hasard quelques nouveaux cadavres à enterrer – un morceau de son honneur, une colonie ou le dernier charnier de la Royal Air
Weitere Kostenlose Bücher