Les Décombres
tandis qu’on est toujours aussi avide de savoir ce que disent les Anglais, qu’il n’y a que leurs révélations pour faire prime, que les journaux qui ne les impriment pas sont des bourreurs de crâne.
La nullité militaire des Américains, leur absence de tous cadres, de tous instructeurs, de toutes traditions, sont des phénomènes absolument négligeables. On verra ce qu’on verra lorsqu’ils seront prêts. Et personne ne parvient à réfléchir suffisamment pour pouvoir se dire : « Jusqu’à ce que les Américains aient égalé des armées séculaires comme celles de l’Allemagne et du Japon, l’Axe aura eu le temps de promener ses chars tout autour de la terre. »
Les banquiers français attendent le salut de Staline. Et les prolétaires Français, qui ont les armées du socialisme chez nous n’ont d’espoir que dans la ploutocratie anglaise.
Dans la nuit du bombardement de la banlieue parisienne, le 3 mars dernier, toute la bourgeoisie, grosse, moyenne et petite de Neuilly était à ses fenêtres, à ses balcons. Elle savourait comme un spectacle de choix l’embrasement du ciel par les fusées britanniques qui préparaient le chemin des bombes. Elle applaudissait à chaque éclatement, elle riait aux anges devant cet horizon d’extermination sous lequel mouraient des centaines de Français.
Le lendemain à cinq cents pas de chez moi, des femmes poussant leurs marmots dans leur voiture, contemplaient l’hôpital de Neuilly, le trou d’une bombe tombée sur le pavillon de la Maternité. Elles rigolaient. À Boulogne-Billancourt, sans doute, ceux qui avaient laissé leur famille sous les décombres pleuraient. Mais dans la maison d’en face, on se délectait : « Qu’est-ce qu’ils sont costauds ! C’est du beau boulot. » On pouvait bien leur dire : « Ce n’est pas cela qui rendra Singapour aux Anglais. C’est tout simplement une agression peu glorieuse sur un coin mai défendu, une de ces entreprises absolument accessoires que montent les Anglais pour donner et se donner à eux-mêmes l’illusion qu’ils existent encore. » Les bombardés dévisageaient hargneusement cet agent de Goebbels.
On voudrait découvrir chez ces malheureux un patriotisme instinctif, une xénophobie spontanée ennoblissant leur bêtise, la pensée que si l’on écope, l’Allemagne écope aussi, et « qu’il faut bien ça pour terminer la guerre », comme me le disait un petit mécanicien devant des gravats fumants qui recouvraient dix morts. Mais il ne subsiste pas la plus petite idée de la France chez ces communistes, qui sont souvent moins vils, plus excusables en tout cas que les autres, et du moins dans la froide et sommaire logique du marxisme international. Le sentiment physique de la France n’existe pas davantage chez presque tous les autres. On a cru bon, après ce bombardement, de parler de solidarité, de l’unanimité française dans l’indignation. Ce sont de gracieux truismes. Les bourgeois de la porte de Saint-Cloud s’exclamaient d’enthousiasme du haut de leurs immeubles, en pensant que ces chers Anglais se réveillaient, et qu’en gens bien élevés ils laissaient tomber leurs torpilles sur la canaille faubourienne. L’homme du haut de la rue se contrefichait que celui du bas eût été écrabouillé.
Les Anglais ont à Londres des bataillons de conseillers juifs qui sont de fins psychologues et qui ont une pratique sérieuse du peuple français. Ces Juifs ont admirablement senti que le meilleur moyen pour les Anglais de relever en France leur prestige entamé, était d’aller tuer un peu des Parisiens. Cela a magistralement réussi. L’Angleterre, qui passait derrière l’Amérique, est redevenue la grande vedette de l’espérance. Après le 3 mars, on a lu sur des centaines de murs parisiens : « Vas-y, R. A. F. » Cette volupté du peuple français sous les bombes anglaises confine au masochisme. Comme tel, c’est encore un tragique symptôme de dévirilisation.
On tient fort à garder sa propre peau, mais on souhaite violemment que le voisin fasse avec la sienne les frais de la prochaine grande victoire anglaise.
Pendant que les maroufles et les bedeaux bêlent leurs cantiques sur la renaissance des vertus théologales et cardinales, chaque jour une nouvelle ordure s’ajoute au fumier français. Je ne parle même pas des milliards qui se gagnent dans la spéculation sur la faim. Mais il n’est point seulement question des maffias qui
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