Les Décombres
cuistrerie. Ils faisaient entrer les juifs baptisés dans le plein convivium de la cité chrétienne. Ils « temporalisaient le problème judaïque constitutionnellement » et par « des enchevêtrements juridictionnels ».
Langue de chiens bâtards, hideuse défécation d’une bouillie philosopharde ! Ces barbares et fétides cagots n’étaient plus justiciables que d’arguments frappants.
La seule besogne utile était de rendre notre peuple à cette délectable certitude : il suffirait toujours d’un caporal et de quatre hommes pour mener aux galères quand il nous plairait nos cinq cent mille juifs gémissants et tremblants.
Nous verrions de nos yeux une nouvelle démolition du Temple, et il ne se relèverait pas de sitôt de ses décombres. Le grave était que les Juifs avaient décidé de commettre à sa garde tous les hommes et tous les caporaux de France, de les faire étriper pour sauver ses trésors, et qu’il se trouvait dans notre pays même des chrétiens de vieille race pour applaudir à ce dessein.]
CHAPITRE VI -
AU SEIN DE « L’INACTION FRANÇAISE »
Kerillis, Buré, Élie Bois avaient chauffeurs et châteaux. Après dix années de labeur incessant et trois mille articles derrière moi, j’attendais encore de pouvoir m’offrir un habit, une petite voiture, le complément de mon mobilier. Je redoutais encore un déménagement ou l’arriéré d’une note de gaz comme une catastrophe financière. Je pataugeais sous les pluies parisiennes avec un pardessus et des souliers fourbus.
C’était moi le vendu, comme de juste.
Les portes de la presse se fermaient une à une autour des pestiférés de mon espèce.
Au début de 1939, il m’avait fallu prendre, sans enthousiasme, la place de chef des informations àl ’Action Française. Son pacifisme intermittent, son antisémitisme de principe en faisaient toujours et malgré tout le seul quotidien de Paris où un garçon dans mes sentiments pût travailler sans trop se renier, en ayant l’espoir de se rendre plus ou moins utile. Mais j’étais depuis trop longtemps son collaborateur pour garder beaucoup d’illusions sur son rôle politique. Le spectacle de sa vie quotidienne allait m’enlever bientôt celles que j’avais essayé de conserver jusque-là.
* * *
Il faudrait autant de livres, de patience et de pénétration pour l’histoire complète del ’Action Française que pour celle de Port-Royal. Je veux simplement ici en esquisser quelques aspects qui entrent dans le cadre de ce récit. Certains s’indigneront sans doute de ce chapitre. J’ai pesé scrupuleusement ce que je dois àl ’Action Française dans la vérité et dans l’erreur, ce qu’elle m’a montré et ce qu’elle m’a caché, ce qu’elle m’a donné et ce qu’elle m’a interdit. Le compte fait, je n’estime pas que je doive être obligé au silence par gratitude. L ’Action Française est une de ces entreprises d’hier qui ont vécu d’équivoques soigneusement entretenues et sont arrivées ainsi à maintenir aujourd’hui encore une partie de leur influence. Si l’on veut aller de l’avant, on doit purger ces vieilles hypothèques. Maintes faiblesses du nationalisme français sont inexplicables sans quelques lumières surl ’Action Française. Ce que je vais en dire objectivement sera d’ailleurs fort anodin auprès des propos qui se tiennent sur les mêmes sujets depuis vingt ans, parmi les intimes de Maurras, et à la barbe même du maître, lequel, on le sait, est sourd.
J’avais souvent passé de longues heures plongé dans les collections del ’A. F. d’avant 1914. C’était un incomparable journal, le plus beau sans doute qui se fût jamais imprimé à Paris. Tout y était neuf : la doctrine de la corporation, la revue de la presse imaginée par Maurras, la fermeté du style dans un quotidien, son extraordinaire variété de registre, les chahuts inventifs de ses étudiants. La violence de la langue y faisait un merveilleux ménage avec la violence de la pensée. Un air irrésistible de jeunesse et de joyeuse audace traversait chaque numéro, animait la théorie aussi bien que les blagues des Camelots du Roi. L ’Action Française avait rendu aux idées nationales le charme de la verdeur et de la subversion.
Le massacre à la guerre de tant de ses meilleurs militants lui fournissait une glorieuse excuse. Cependant, ces pertes avaient été comblées en 1924 quand elle pouvait faire défiler dix mille garçons sur
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