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Les Décombres

Les Décombres

Titel: Les Décombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Lucien Rebatet
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entière dévorée par la pensée. Je la comparais, avec son pittoresque, sa noble pauvreté, aux rites, aux pourchas d’argent, aux beaux complets d’administrateurs, aux emplois du temps de capitaines d’industrie qui remplissaient les semaines et les ans de tant d’illustres gens de lettres. Au milieu de ces bourgeois, les mœurs insolites de notre maître désignaient un grand homme. Avec sa lampe brûlant jusqu’au-delà de l’aube, le capharnaüm de son bureau, ses épreuves inlassablement surchargées, Maurras, s’il eût travaillé seul, nous eût proposé l’exemple tonique d’une existence à la Balzac, à la Wagner, à la Rembrandt, et par plus d’un côté il en laissera en effet l’image. Mais ce superbe égoïsme devenait une calamité dans une entreprise collective.
    Le vieux lion de Martigues, comme celui de Bayreuth, aurait pu répéter fièrement : « Le monde me doit ce dont j’ai besoin ». Le fâcheux fut qu’il eût si grand besoin, pour édifier son château intérieur, d’un journal, d’un rassemblement d’hommes, de tous les espoirs qu’il souleva et broya. Quand on porte le combat dans le cours quotidien de la vie civique, c’est pour enlever le succès. Ce succès exigeait la conversion du plus grand nombre à la doctrine de Maurras. Mais Maurras n’hésitait pas à perdre cent mille adhérents possibles, à décourager dix mille convaincus pour mener une pensée à son point de perfection.
    Personne n’aura davantage célébré l’action, et eu devant elle une attitude plus floue, faite à la fois de dédain et d’embarras. L’action était une figure indispensable de sa rhétorique, à son gré très suffisamment prolongée dans le réel par un remue-ménage plus ou moins factice de prosélytes.
    Son ancien disciple, l’historien d’art Louis Dimier a mieux analysé cela qu’on ne le fera jamais dans une espèce de chef-d’œuvre ignoré : « Vingt ansd ’Action Française   ».
    « La démonstration, dit-il de Maurras, l’enchantait. Elle avait pour effet de servir une passion de domination intellectuelle, la plus forte chez lui, et qui faisait le grand ressort de son existence. En même temps, elle comblait le besoin d’activité d’un esprit que toute autre application trouvait insuffisant…
    « Il avait un pouvoir d’évocation si fort et un sens politique si juste qu’il nous rendait ses inventions présentes et que nous croyions toucher l’objet. Pour lui ce n’était qu’une peinture, dont il repaissait son imagination et charmait sa mélancolie. Il n’avait nul souci véritable, nul besoin organique de la faire passer en fait. Le philosophe Hume a nommé inquiétude, uneasiness, l’aiguillon ressenti par l’homme dans sa machine, qui, tandis que la raison propose, le fait agir effectivement. Maurras manquait de cette inquiétude, ou, si l’on veut, la sienne n’allait qu’à démontrer. Il avait contentement, sa démonstration faite. Son plan de restauration tracé, il suffisait que sa pensée s’y logeât, et, de là, commandât à d’autres.
    « Faire la monarchie, pour lui, c’était cela. Sa doctrine prêchait davantage, mais son instinct n’allait pas plus loin ».
    Ces lignes et toutes les pages qui les accompagnent étaient sans doute trop pénétrantes, trop pesantes de vérités pour servir dans les à-peu-près, dans les joutes rapides de la polémique. Aucun adversaire n’en a fait, que je sache, l’emploi qu’on en pouvait attendre.
    Il est encore un trait de Maurras que Dimier n’a pas aussi nettement relevé : le refus obstiné, ressemblant fort à une dérobade, de considérer en face les réalités les moins inéluctables. Par là, Maurras aura rejoint souvent ces chevaucheurs de chimères qu’il pourchassa si âprement. Mais j’y reviendrai plus loin, avec d’étonnants exemples à l’appui.
    * * *
    J’avais une fois pour toutes reconnu quel ’Action Française n’était que le support d’un esprit éminent et par bien des points admirable, dont le rôle positif ne justifiait en rien cependant une telle mise en scène. Ce sentiment avait gagné toute la maison. Tout y respirait le dénigrement et la lassitude. L’exemple de Maurras entraînait une gabegie, une incurie générales. À son million, s’ajoutaient plusieurs autres millions précipités dans les tonneaux percés de la plus vaine propagande, d’une douzaine d’entreprises aussi stériles qu’insatiables, engraissant un bataillon

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